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La pinasse est le bateau traditionnel du bassin; c'est "une embarcation légère, étroite, manœuvré à la voile ou à l'aviron", selon la définition du dictionnaire Larousse. C'est surtout un bateau parfaitement adapté à l'environnement: il n'a qu'un très faible tirant d'eau et se faufile partout sur le bassin, son gréement
est rustique.
Trois types de pinasses étaient en usage à cette époque: la grande pinasse de côte de 12 à 14 mètres de long, faite pour la pêche côtière à l'océan et manœuvrée à l'aviron par 8 à 16 hommes d'équipage, la pinasse proprement dite de 8 à 9 mètres de long, pour la pêche à la sardine dans le bassin (deux hommes) et la pinassote de 7 à 8 mètres pour la pêche et l'ostréiculture
dans le bassin avec un ou deux hommes.
La Marie-Suzanne, une pinasse de côte (cliquez pour agrandir / Coll. particulière)
Les deux derniers types étaient en général gréés d'une voile latine et la manoeuvre d'un tel bateau exigeait un sérieux
apprentissage, jugez-en: pour virer de bord, il fallait:
- lâcher l'amure avant
- affaler la voile
- l'amener sous le vent (faire passer la vergue de l'autre coté du mât)
- régler l'emplanture du mât (le mât était fiché dans une planche à trou
permettant de l'orienter selon l'allure du bateau et le sens du vent)
- hisser la voile, sans oublier de la refixer à l'avanr
Dans la deuxième moitié des années 1900, le moteur va totalement bouleverser l'économie de la pinasse, en en faisant un bateau de pêche robuste et pouvant accueillir jusqu'à 12 hommes et de trois à cinq doris pour la pêche à la sardine. " Ce sont Albert Couach et Auguste Bert qui mettent au point en la première pinasse à moteur, Libellule, mise à l'eau en 1903. Fonctionnant alors au pétrole lampant (kérosène) , ces pinasses sont désignées sous le nom de « pétroleuses ", lit-on dans Wikipedia dans un remarquable article consacré à la pinasse d'Arcachon.
La pêche à l'océan était très dangereuse à bord de ces bateaux, car il fallait franchir les passes, entre barre et haut fond. Les passes du bassin ont connu d'innombrables drames et les marins qui survivaient à ces fortunes de mer étaient nombreux à remercier Notre Dame d'Arcachon par des ex-votos, comme celui-ci que j'ai pu voir en ce début de novembre 2006 à La Teste de Buch dans une très belle exposition consacrée à la pinasse du bassin.
Le 3 janvier 1904, des pêcheurs sardiniers se font surprendre par la tempête à l'océan. Le chalutier Saint Georges recueille à lui seul 150 marins pêcheurs. Le peintre Achille Dupin peindra en 1910 ce beau tableau à titre d'ex-voto:
La basilique Notre Dame abrite une très belle chapelle des marins, malheureusement incendiée en 1986. De nombreux ex-votos ont disparus, mais ils restent quelques beaux exemplaires de cet art populaire si émouvant:
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En 1906, les progrès technologiques
modifient profondément
les modes de pêche au bassin et dans ses alentours:
le moteur va transformer la vie des pêcheurs, notamment
ceux qui font la sardine, sans pour autant leur faire
abandonner la pinasse, comme le rapporte cet article
de 1908:
La Pêche de la Sardine à Arcachon au moyen
de bateaux à moteur
Les premiers essais de pêche de la sardine à Arcachon
avec bateaux mus par un moteur à pétrole
datent de l'année 1906, soit de moins de deux ans.
Au mois de septembre de cette année 1906, quelques
propriétaires de canots à pétrole,
qui ne s'en servaient, pendant leur villégiature,
que pour leur agrément, eurent l'heureuse idée
de faire tenter l'expérience par leurs marins. La
sardine ayant séjourné presque tout l'hiver
sur la côte entre Arcachon et Bayonne, les résultats
furent merveilleux. La pèche dura ainsi pendant
la plus grande partie de l'hiver, et elle fut particulièrement
productive en octobre-novembre.
Encouragés par ce succès, armateurs et patrons
pêcheurs se décidèrent à adopter
le nouveau système qui prit rapidement, une grande
extension. Les constructeurs furent, et sont encore surchargés
de commandes, et on estime qu'en juillet 1908, il existera
dans le bassin d'Arcachon, 125 pinasses ou canots a moteur
propres à la pêche de la sardine.
Les bateaux
employés sont de deux genres principaux,
le canot proprement dit, a arrière carré,
destiné primitivement au seul tourisme, et l'ancienne
pinasse à voiles et a rames, a laquelle on a adapté un
moteur. Les pêcheurs tendent a conserver cette dernière
a laquelle ils sont habitués. Toutefois la pêche
se faisant l'hiver loin du bassin, ils seront vraisemblablement
amenés à adopter un système de bateau
plus grand et en partie ponté, qui puisse mieux
résister à la mer. Les moteurs employés
varient entre 4 et 15 chevaux suivant la force des bateaux
auxquels ils sont adaptés. Les plus répandus
sont les moteurs Couach, Fairbanks, Dan, Wolverine, Herald,
Marine etc..
Chaque canot ou pinasse a moteur est monté par 5
ou. 6 hommes et porte a bord avec les filets et autres
apparaux, un ou deux doris placés à l'avant
; dans ce dernier cas les doris s'emboîtent l'un
dans l'autre. Sur les lieux de pêche les doris sont
mis à l'eau et montés chacun par 2 hommes
munis des engins nécessaires, les deux ou trois
autres restant à bord un bateau à moteur
qui sert également à la pêche. L'équipage
constitue ainsi 2 ou 3 groupes pêchant séparément,
l'un des hommes se tenant aux rames pendant que l'autre
s'occupe des filets et appâte le poisson.
Le mode
de pêche est le même que celui employé par
les pêcheurs bretons, avec les mêmes filets
et en employant uniquement la rogue de morue, qui est vendue à Arcachon
au poids et non pas au baril. Nous avons constaté avec
le plus grand plaisir que les pêcheurs du Bassin
ignorent absolument les tourteaux d'arachides dont ils
ne connaissent pas l'emploi. D'octobre 1907 à mars
1908, la pêche s'est faite à environ25 milles
d'Arcachon entre Biscarosse et Mimizan-Plage, au droit
des bains de Sainte-Eulalie, à quelques milles au
large, par 25 à 30 brasses de profondeur. Les bancs
de sardines se sont cantonnés là pendant
toute cette époque, et par la grosseur de ce poisson
nous supposons qu'il .est le même que celui pêché pendant
la campagne 1907 aux environs des Sables d'Olonne et de
l'île d'Yeu.
Depuis la moitié du mois de mars la sardine s'est
rapprochée des passes d'Arcachon, ce qui semblerait
indiquer qu'elle a commencé sa migration vers les
côtes vendéennes et bretonnes, et ce qui nous
confirme dans cette opinion, c'est que le moule en est
devenu plus petit, de 54 à 56 millimètres
soit 8 au quart environ.
D'après des
renseignements recueillis à des
sources certaines, la pêche avec bateaux à moteur
aurait depuis son inauguration donné d'excellents
résultats aux armateurs et marins pêcheurs.
Du 4 au 24 octobre 1906, une pinasse de 8 mètres
50 de longueur, avec moteur de 6/8 chevaux montée
par 5 hommes, a péché en 14 sorties, 118.500
sardines qui ont produit à la vente 3.662 fr. 50.
Les frais divers (rogue, huile, essence, graisse, etc)
s'étant élevés pendant cette période à 513
fr. 25, il en est résulté un bénéfice
net de 3149 fr. 25, qui, réparti en 7 parts égales
dont 2 pour le bateau et 5 pour l'équipage, a donné en
chiffres ronds pour une période de vingt jours,
900 fr. à l'armateur et 450 fr. à chaque
homme. Une autre pinasse à moteur a donné plus
récemment pendant 6 mois de pêche, du 1er
septembre 1907 au 29 février 1908, un rapport net
de 1.500 francs à chacun des cinq hommes et 3.000
francs à l'armateur.
Un troisième
canot, moins favorisé a pu cependant
malgré de fréquents arrêts causés
par les tempêtes, du 10 novembre 1907 au 21 mars
1908, et en vingt-cinq jours de pêche, capturer 80.000
sardines en chiffres ronds (exactement 79.608) qui ont
produit à la vente une somme totale de 3614 fr.
30.
Il est à remarquer
que notre étude ne
s'applique qu'à la pêche d'hiver, c'est-à-dire à celle
qui se pratique dans les plus mauvaises conditions et avec
le moins de régularité par suite du mauvais
temps, et des interruptions qu'il nécessite. Il
ne nous paraît pas douteux que les résultats
en seraient encore meilleurs pendant la belle saison.
A
l'encontre de ce qui se produit en Bretagne où l'armateur
procure avec le bateau les filets nécessaires à la
pêche, ces derniers sont fournis à Arcachon
par l'équipage. Les frais d'achat de rogue et tous
ceux nécessités par la mise en marche du
bateau (essence, huile, graisse, etc.) sont prélevés
sur le produit brut de la vente du poisson, avant le partage
entre lès intéressés. Ces conditions,
adoptées par la plus grande partie, ne sont cependant
pas générales et sont même très
variables" quelques armateurs ne fournissant que le
bateau sans entrer dans les frais, mais dans ce cas ils
ne touchent qu'une seule part sur le produit brut de la
pêche.
De notre étude, il y a lieu de conclure,
que sans le concours de bateaux à moteur, la pêche à l'Océan
ne pourrait se faire pendant l'hiver et même pendant
l'été, lorsque le poisson se trouve hors
de portée des bateaux à voile. Il y a donc
lieu de se féliciter du développement apporté par
cette transformation dans l'industrie de la pêche,
et il serait à souhaiter que dans l'intérêt
des pêcheurs comme des fabricants, elle se généralisât
sur d'autres points.
ALBERT
RODEL
Bulletin / Société de géographie
commerciale de Bordeaux ; [publié par l'Association
française pour l'avancement des sciences]
1908. 15 janv.-15 déc. 1908 (2e série / 31e
année / N °1-12)
[Ce texte a été cité dans le
cadre du Congrès
International des Applications du Moteur à mélange
tonnant et du Moteur à combustion interne
aux Marines de Guerre, de Commerce, de Pêche
et de Plaisance (sic) qui s'était
tenu à Paris
en décembre 1908.Georges Lumet, centralien,
avait présenté à ce
congrès une communication intitulée
: La Pêche maritime et le Moteur auxiliaire qui
avait été suivie d'un débat
au cours duquel il avait déclaré :
"En France même, M.
Albert Roedel, dans une étude extraite du Bulletin
de la Société de Géographie Commerciale,
donne les intéressants renseignements suivants".
Suit le texte de Rödel.
Enfin une communication
sur "la pêche sardinière" présentée
par Marcel-Adolphe Hérubel et incluse dans
les "Mémoires
et Comptes Rendus des Séances du VIe Congrès
national des Pêches
Maritimes" (Tunis mai 1914) précise
:
"Qu'il me soit permis de
dire que le défunt M. C[harles] Mader et moi
avons été, à notre
connaissance, les premiers à employer, en
août-septembre 1906, les moteurs dans la pêche
sardinière à Gujan-Mestras. Cela, d'ailleurs,
n'enlève rien au réel mérite
de l'un des armateurs les plus distingués
de là-bas, M. Albert Rodel."
Albert Rödel appartenait à
la maison Rödel Fils Frères, grande conserverie
de Bordeaux.
Précisions de Jean Pierre Ardoin Saint Amand
]
Les temps modernes, les bateaux à moteur, les dériveurs à fond plat ont failli tuer ce bateau: dans les années 1970, il n'en restait aucun à naviguer sur le bassin. Un vigoureux mouvement de préservation du patrimoine l'a sauvé : je vous recommande de venir voir un jour les régates du 15 août à la jetée Thiers à Arcachon. Vous y verrez des pinassotes, des monotypes d'Arcachon, des Pacific, des Loups, tous bateaux en bois nés à Arcachon et sauvés de la pourriture par des passionnés des vieux gréements.
Une association très active s'emploie à sauver ces bateaux, "Voiles d'Antan du bassin d'Arcachon".
Si vous voulez en savoir plus sur les pinasses, je vous recommande ce site
Et si d'aventure vous passez, l'été, sur une des plages du bassin vous avez quelque chance de voir une de ces splendeurs:
ou encore d'assister à ces embarquements / débarquements depuis la plage
Le mouvement de sauvegarde du patrimoine a également touché les bacs à voile, ces bateaux à fond plat si courant sur le bassin au début du dernier siècle. Ce sont des bateaux de travail, où les ostréiculteurs chargeaient et déchargeaient leur huîtres. Ils dégagent encore aujourd'hui une formidable impression de puissance. Vous pouvez en voir plusieurs dans la section photo