Tuck

L’étude d’un éditeur ayant proposé, à la Belle-Epoque, des cartes illustrées de vues d’Arcachon se présente toujours un peu de la même façon : des renseignements biographiques sur l’éditeur lui-même, aussi rares que clairsemés quand ils ne sont pas complètement inexistants, à mettre en face d’une cartoliste longue comme un jour sans pain.

Pour changer un peu et pour ainsi éviter de nous décourager, nous allons nous arrêter maintenant sur un éditeur au profil exactement inverse : une somme de renseignements biographiques qu’il nous faut trier au service d’une cartoliste exsangue : 5 cartes seulement de cet éditeur, concernant Arcachon, nous sont connues à ce jour.

Cet éditeur s’appelle Raphaël Tuck.

Il était né en 1821 dans l’Est de la Prusse et avait émigré, dès 1865, à Londres, avec femme et enfants. Là, il avait ouvert une petite boutique d’encadrements avant de se lancer dans l’impression de gravures. Ce qui l’avait amené, en 1871, à fabriquer et à commercialiser des cartes de Noël. Dix ans plus tard, il confiait ce qui était devenu une petite entreprise à ses trois garçons : Adolph, Herman et Gustave, qui allaient donner à celle-ci une toute autre expansion.

Sous la raison sociale de Raphael Tuck and Sons Ltd.

Devenus, par la grande qualité artistique de leurs produits, les plus importants producteurs britanniques de cartes de vœux, de jeux, de livres d’enfant et de gravures d’art, ils se lançaient alors, dès 1894, dans l’édition de cartes postales. Mais c’est, semble-t-il, à partir de l’Exposition Universelle de Paris, en 1900, qu’ils choisissaient de se spécialiser sur ce secteur d’activité.

Leur succès était alors tel qu’ils ouvraient successivement des succursales à Paris (dans le Xème arrondissement, rue Martel et rue du Paradis) et à New-York.

Tout cela leur vaudra d’être considérés comme les fournisseurs attitrés de la Reine Victoria, titre honorifique qui est rappelé au verso de leurs cartes, en haut et à gauche, par des armoiries royales.

Fournisseur de la Reine
Fournisseur de la Reine

La domination de leur maison sur le marché de la carte postale en Angleterre sera tellement manifeste que les anglais considèrent aujourd’hui, Raphaël Tuck, comme le père de la carte postale.

En décembre 1940, l’usine londonienne de l’entreprise Tuck sera détruite lors d’un raid aérien et toutes les archives disparaîtront dans l’incendie qui s’en suivra.

L’éditeur Tuck produisait bien sûr, comme tous ses concurrents, des cartes postales illustrées de vues photographiques, mais il s’était fait une spécialité des cartes reproduisant des œuvres d’illustrateurs dont la qualité était à l’origine de l’extraordinaire renommée de cette maison.

Ces cartes avaient, chez ce même éditeur, plusieurs appellations commerciales. Il y avait les « Charmette », les « Aquarette » ou encore les « Oilette ».

Ces dernières sont les plus nombreuses.

Gri-gri
Gri-gri

On peut penser que les « Aquarette » étaient réservées à la reproduction de dessins à l’aquarelle et que les « Oilette » s’appliquaient à celle des tableaux réalisés à la peinture à l’huile. Mais « Oilette » correspondait, en fait, à un brevet qui avait été déposé en 1903, permettant l’impression d’une carte polychrome, aux couleurs éclatantes. Ce procédé allait pourtant être le plus souvent utilisé pour reproduire des dessins à la gouache aquarellée.

Toutes ces cartes illustrées de dessins portaient un petit gri-gri très particulier, qui représente un chevalet, une palette de couleurs et des pinceaux.

Ces cartes sont aujourd’hui très recherchées, surtout par les collectionneurs anglais, américains et canadiens qui les considèrent souvent comme de véritables œuvres d’art.

Maintenant, la question qui se pose est de savoir comment cette importante maison d’édition de cartes postales en était venue à s’intéresser à nos rivages.

Sans doute selon le système habituel du démarchage, par des représentants, auprès d’établissements susceptibles d’être attirés par une commercialisation de cartes dont on leur assurait l’exclusivité.

L’examen, même superficiel, des bacs de cartes anciennes des marchands spécialisés d’aujourd’hui montre que les Nouvelles Galeries d’Arcachon étaient particulièrement réceptives à ce genre d’offre. Et cela, malgré le renouvellement assez fréquent de sa direction.

Il existe en effet, sur Arcachon, 5 ou 6 séries différentes de cartes postales estampillées « Nouvelles Galeries » ou « N. G. ».

Raphael Tuck and Sons Ltd, par l’intermédiaire de son représentant, avait donc persuadé les Nouvelles Galeries d’Arcachon de proposer à leur clientèle des cartes Tuck que l’on ne trouvait pas encore sur place.

Il y en avait pléthore pour Bordeaux, 3 ou 4 pour Biarritz, mais aucune pour Royan ou Soulac.

Restait à trouver l’artiste qui allait les illustrer.

Il y a une autre hypothèse, mais toutefois moins probable, et qui voudrait que ce soit l’artiste lui-même qui ait souhaité s’exprimer au travers de ces cartes postales Tuck et qui ait convaincu le directeur des Nouvelles Galeries d’Arcachon de se lancer dans l’aventure.

Quelle que soit la façon dont cela se sera déroulé, il nous faut maintenant dire quelques mots de cet artiste, Eloi-Noël Béraud, dont on retrouve la signature en bas à droite de ces cartes, sous la forme « N. Béraud. »

Pour savoir qui il était, alors qu’il était souvent appelé Eloi-Noël Bouvard, rien de plus facile, puisqu’un marchand d’art parisien, Ludovic Saulnier, a consacré dernièrement tout un ouvrage, Les Bouvard. De l’ombre à la lumière, à cette famille d’artistes qui s’étend sur quatre générations et dont notre Eloi-Noël est le plus ancien représentant.

Il est originaire de Saint-Etienne où il est né le 26 décembre 1875, de parents inconnus. Enfant de l’Assistance Publique, il est confié à une famille d’accueil à Toul où il restera jusqu’en 1894. Il revient alors à Saint-Etienne pour suivre les cours des Beaux-Arts, en montrant des prédispositions certaines à la copie des Maîtres anciens. Il se marie au Puy en août 1900 et il aura un fils, Georges-Noël, qui naîtra le 25 décembre 1912.

Eloi-Noël Béraud dans son atelier de la rue Boulard à Paris. ( Ludovic Saulnier, Les Bouvard. De l'ombre à la lumière, p. 8.
Eloi-Noël Béraud dans son atelier de la rue Boulard à Paris. ( Ludovic Saulnier, Les Bouvard. De l'ombre à la lumière, p. 8.

Au début de sa carrière, sa peinture oscille entre le style de l’école de Barbizon et les scènes Art Nouveau, toutes choses qu’il signe parfois du pseudonyme de Pelletier. Il utilise alors l’aquarelle et la gouache qu’il abandonnera au début des années folles.

En 1901, il s’installe à Paris et l’année suivante, il illustre une série de cartes postales pour le marché britannique. Très certainement des Tuck qui lui valent aussitôt de bénéficier d’une certaine notoriété outre-Manche.

Mobilisé durant la première guerre mondiale, il revient à Paris après l’armistice où il réalise des affiches publicitaires. Il s’installe alors dans une grande maison du Val d’Oise où il produit un très grand nombre de toiles.

En 1930, lors d’un voyage d’agrément, Venise le subjugue littéralement et il décide, dès lors, de ne plus peindre que des paysages vénitiens. Ce qu’il va faire sous le pseudonyme de Marc Aldine à la consonance que l’on nous présente comme étant plus transalpine. C’est une période où son art rencontre véritablement un certain succès.

Il meurt le 9 février 1957, à 82 ans, dans sa maison familiale, laissant le soin à son fils, Georges-Noël, de poursuivre sur sa voie.

Aujourd’hui, un joli Eloi-Noël Béraud atteint facilement 30 000 €uros en vente publique.

Et justement, il y en a deux dans le bureau du Maire d’Arcachon.

Enfin, il y en avait deux dans ce bureau avant les travaux de reconstruction de la maison du peuple.

Sait-on ce qu’ils sont, aujourd’hui, devenus ?

Le grand livre des Peintures du Bassin d’Arcachon, p. 219.
Le grand livre des Peintures du Bassin d’Arcachon, p. 219.

En 1999, une association baptisée Les Amis des Peintures du Bassin d’Arcachon et de la Mer avait participé à la publication, aux Editions Fus Art, d’un ouvrage intitulé Le grand livre des Peintures du Bassin d’Arcachon qui se terminait sur une énigme :

« Auteur inconnu : Qui a peint ces deux tableaux accrochés dans le bureau du Maire d’Arcachon ? Qui aurait bien pu restituer aussi fidèlement ces deux casinos arcachonnais, perspective oblige ou vision purement architecturale tempérée par quelques personnages charmants : belles dames et messieurs en canotier, pantalon de flanelle rouge — la couleur locale.

Une récompense à qui nous dira quel était le nom du maître. »

Les deux tableaux étaient reproduits en couleur et nous avions aussitôt proposé le nom d’Eloi-Noël Béraud.

Nous attendons toujours la récompense.

Le grand livre des Peintures du Bassin d’Arcachon, p. 219.
Le grand livre des Peintures du Bassin d’Arcachon, p. 219.

Il est vrai que les éditions Fus Art s’étaient dépêché de faire faillite. Et Les Amis des Peintures du Bassin d’Arcachon et de la Mer semblent s’être évaporés sans laisser d’adresse…

La comparaison, comme on peut le voir, entre les tableaux de la Mairie et leur reproduction sur les cartes correspondantes Tuck, soulève quelques questions. Un certain nombre de détails, un cadrage plus restreint, une lumière plus claire, des personnages rajoutés, la végétation modifiée, des nuages différents, chaque fois, entre le tableau et la carte correspondante. On peut penser que l’artiste part de son tableau pour réaliser la carte tout en portant à celle-ci quelques aménagements. Dans quel but ? Pour répondre à quelque contrainte technique imposée par le procédé « Oilette » ?

Toutefois la carte représentant la pinasse automobile permet de deviner que l’artiste a réalisé son dessin à partir d’une photographie. En l’occurrence, pour cette carte précise, à partir d’une photographie de Léo Neveu. Il ne nous reste plus qu’à découvrir les clichés utilisés pour les autres cartes. Eloi-Noël Béraud, qui a si fidèlement restitué les casinos arcachonnais et les couleurs locales, a-t-il au moins fait l’effort de venir les découvrir sur place ?

Il nous reste qu’à l’espérer.

Pinasse
Pinasse

Force nous est de constater que la pinasse automobile se dirige vers la mer au petit matin alors que la carte Tuck nous la montre évoluant au coucher du soleil.

Les cartes de la maison Tuck consacrées à Arcachon, ont été éditées dans les années 1909-1910, et selon toute vraisemblance, dans des petits tirages, compte tenu de la difficulté d’en dénicher aujourd’hui. Elles sont toutes en couleur, à dos divisé et présentent la particularité de proposer, sur leur verso, un petit développement de la légende.

Le collectionneur éclairé sera bien inspiré de compléter ses albums par ces cartes Tuck. En les feuilletant, il pourra alors bénéficier des mêmes vues que celles que le premier magistrat de la ville contemple tous les jours depuis son fauteuil de maire.

ARCACHON. BOULEVARD DE LA PLAGE

Arcachon. — Boulevard de la Plage. — Le boulevard de la Plage est, avec la rue du Casino une des avenues les plus fréquentées par les 250.000 baigneurs qui vont annuellement à Arcachon.

ARACACHON. CASINO MAURESQUE

Arcachon. — Casino Mauresque. — Situé sur une dune qui domine Arcachon, on découvre du Casino Mauresque un panorama splendide sur le bassin d’Arcachon et la ville.

ARACACHON. LA JETEE PROMENADE

Arcachon. — La Jetée promenade. — La jetée promenade, construite en 1903, est une des promenades favorites des étrangers à Arcachon.

ARCACHON. PINASSE AUTOMOBILE

Arcachon. — Une pinasse automobile. — Les pinasses à moteur sont utilisées surtout pour la pêche à la sardine. Une pinasse, dans une journée de pêche, rapporte fréquemment de 10 à 20.000 sardines.

ARCACHON. VUE DU BASSIN

Arcachon. — Vue du bassin. — Le bassin d’Arcachon qui reçoit largement l’eau de l’Océan, soumis au flux et reflux, a conquis pour la production des huîtres une renommée mondiale.

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