|
Un
dimanche d'automne pluvieux, je suis allé faire un tour
sur l'incroyable site de la Bibliothèque du congrès
américain et je suis tombé sur des images montrant un voyage
en ballon entre Paris et Arcachon en 1875, voyage au cours duquel
devait être établi un record mondial de durée en vol.
Je n'avais jamais entendu parler d'un tel voyage, et c'est Jean Pierre Ardoin Saint Amand, à qui rien de ce qui concerne Arcachon n'est étranger, qui m'a donné l'histoire que voici: "Le 23 mars 1875 Les Parisiens découvraient devant l'usine à gaz de la Villette le Zénith, dernier-né de la flotte aérostatique française, armé par la nouvelle Société Française de Navigation Aérienne pour remplir deux missions distinctes : l'une de longue durée, l'autre de grande hauteur. "En 1803, Robertson et Lhoest, puis Zacharius s'étaient élevés jusqu'à 7.400 mètres lors d'ascension à Hambourg et à Saint-Pétersbourg. Le 5 décembre 1862, James Glaisher, astronome et chef du bureau météorologique de Greenwich et l'aéronaute Cowvell devaient dépasser une altitude jamais atteinte jusque là. Mais à 8 800 mètres le savant anglais perdit connaissance et estima lors de son retour au sol avoir atteint 9 500 mètres sans que ce chiffre puisse être authentifié. "Quelques années plus tard, la France à son tour avec l'astronome Camille Flammarion, le chimiste Gaston Tissandier et le publiciste Wilfrid de Fonvielle se lança dans ces ascensions scientifiques. D'abord avec l'Etoile Polaire, puis maintenant à l'aide du Zénith. "En cette fin d'après-midi du 23 mars, tout était fin prêt pour engager la première expérience, celle de longue durée, et le traditionnel "lâchez tout" était prononcé à 18 h. 20 exactement. Le ballon s'élevait majestueusement en emportant dans sa nacelle 1 100 kilogrammes de lest sous forme de sacs de sable, toute une panoplie d'appareils scientifiques dont certains expérimentaux et qui trouveraient ainsi leur première utilisation, et cinq aéronautes : Henri Théodore Sivel qui assumait le rôle de capitaine; Joseph Eustache Crocé-Spinelli, travailleur acharné, passionné de sciences mais beaucoup plus familier de la théorie que de la pratique,
"Accompagnant ces deux hommes, il y avait aussi Gaston Tissandier, le plus célèbre de tous les passagers de cette aventure, et son frère aîné Albert Tissandier, ancien élève des Beaux-Arts. Le cinquième et dernier passager, Claude Jobert était un mécanicien émérite. [Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir] [The balloon Zénith at sunrise or sunset, with five passengers during a long distance flight from Paris to Arcachon in March, 1875] soit "Le ballon Zénith au lever ou au coucher du soleil avec 5 passagers pendant un vol longue distance de Paris à Arcachon en mars 1875" [Lunar halo and luminescent cross observed during the balloon Zénith's long distance flight from Paris to Arcachon in March, 1875] Un halo de Lune et une croix lumineuse observée durant le vol longue distance du ballon Zénith de Paris à Arcachon en mars 1875. "Le voyage débute dans le ciel calme de Paris où la nuit est déjà tombée. (...) Tout à la joie d'avoir pu dominer les difficultés qui n'avaient pas manqué de s'opposer à leur projet, serrés dans leur nacelle encombrée, les aéronautes regardent les lumières de Paris défiler en silence sous leurs pieds. Ils ne comprennent pas encore comment ils sont parvenus à se hisser et à trouver leur place dans un espace aussi exigu qui contient, en plus d'eux, le lest, les matériels de navigation et tous leurs appareils scientifiques. Bien que la durée de l'expérience soit prévue importante, aucun n'a remarqué l'absence de tout système nécessaire à la légitime libération de besoins naturels. Nos cinq scientifiques, dans leurs nuages, sont bien loin de ces basses contingences matérielles. "Dès la disparition, derrière eux, des lumières de la ville, tout le monde s'occupe dans la nacelle et vaque à ses activités. Sivel détermine, contrôle et note régulièrement la direction de la route suivie par le ballon. Pour cela, il utilise à la fois une boussole et une cordelette de 1 200 mètres qui traîne à terre dans la direction opposée au déplacement. Crocé-Spinelli, impatient, manipule les deux appareils spectroscopiques qu'il a emportés avec lui, avec lesquels il multiplie les observations. Jobert lance par-dessus bord des imprimés sur lesquels, au préalable, il a pris la peine de mentionner la pression barométrique et la température mesurées en altitude ainsi que l'état du ciel. Il espère que ces papiers seront ramassés par les habitants des régions survolées, complétés par ceux-ci des mêmes renseignements mais enregistrés au niveau du sol et envoyés par la poste au siège de la Société Française de Navigation Aérienne. "Albert Tissandier, totalement indifférent à l'activité désordonnée qui l'entoure, se consacre à ses esquisses. Son frère, Gaston, pompe avec entrain pour insuffler de l'air à travers plusieurs tubes d'une machine expérimentale qui devrait permettre de mesurer la composition de l'air en dosant la proportion d'acide carbonique aux différentes altitudes traversées. Pendant tous ces travaux nocturnes, il est intéressant de préciser que les aéronautes utilisent pour s'éclairer des lampes de type Davy, exactement semblables à celles employées par les mineurs. Il faut se souvenir qu'au-dessus d'eux, à moins de trois mètres, 3 000 mètres cubes de gaz d'éclairage les portent, du gaz dont une partie s'échappe de temps à autre, soit par l'appendice en cas d'excès de pression, soit par la soupape pour permettre de stabiliser l'altitude. A la moindre étincelle, on imagine la catastrophe. A chaque instant, il faut noter une foule de mesures qui est fournie par les instruments embarqués et bien que parfois le thermomètre descende jusqu'à moins quatre, aucun des aéronautes ne s'en soucie le moins du monde. Jobert et Crocé-Spinelli décident d'expérimenter l'appareil de mesure de vitesse imaginé par Alphonse Pénaud. L'appareil, muni d'une alidade mobile, permet de viser sous un angle connu, un repère choisi au sol. A l'aide de deux visées, faites à des instants et sous des angles différents, on obtient des mesures qui, appliquées à des formules trigonométriques simples, permettent de calculer l'altitude et la vitesse de déplacement du ballon. La vérification réalisée plus tard permettra de constater la parfaite exactitude des chiffres ainsi obtenus. "Pendant tout ce temps, le ballon se déplace
suivant un axe nord-est/sud-ouest: après Blois, la vitesse
du vent se ralentit.
"A partir de là, alors que les aéronautes découvrent le lac de Carcans, le vent se fait plus capricieux. Commence alors une série de manœuvres délicates qui consistent à changer sans arrêt d'altitude pour s'appuyer sur les courants favorables et éviter ainsi de se voir emporter en direction de la mer. Le ballon se comporte alors comme un voilier tirant des bords. Manœuvres fatigantes s'il en est et qui ne vont durer pas moins de six heures avant que nos héros n'envisagent enfin un atterrissage. Le bassin d'Arcachon est en vue et il serait téméraire d'en tenter sa traversée alors que la nuit pourrait les surprendre avant la fin de celle-ci. Les aéronautes choisissent alors de tenter un atterrissage malgré une nature plutôt hostile. Les pins sont drus ne laissant que quelques espaces de landes que l'on devine, malgré l'altitude, gorgées d'eau. L'hiver vient de prendre fin, et le sol est saturé par une eau que les crastes encore inexistantes ne peuvent évacuer. L'ancre est lancée. Elle mord dans le sable humide. Le guiderope à frotteurs de Sivel fait son office même s'il n'empêche pas la nacelle d'être jetée brutalement contre les pins. Les passagers, qui ne peuvent à cet instant compter que sur eux-mêmes, se pendent à la corde de la soupape. Le ballon se dégonfle déjà quand accourent de partout des bergers montés sur des échasses et dont on ne sait si les cris qu'ils poussent sont de joie ou d'étonnement. Ils aident au pliage de l'aérostat. Le ballon est chargé sur une charrette et acheminé par des chemins impraticables et recouverts d'eau jusqu'à la ferme de Monplaisir, sur la commune de Lanton. Attirés par ce nom prometteur, nos aéronautes doivent très vite déchanter, et la période de carême avancée comme excuse par nos compatriotes autochtones, justifie maladroitement les seuls malheureux haricots qui graillonnent, tourmentés dans l'eau d'une vilaine marmite. Enfin, à la lumière de rudimentaires torches de résine, tout le monde dîne tant bien que mal dans une cordiale hospitalité et une saine gaieté. Lanton n'est pas encore raccordé au réseau télégraphique et pendant ce temps, un berger est allé quérir un chariot. Les voyageurs y prennent place, et après bien des cahots qu'ils subissent sans broncher trois heures durant, parviennent enfin à la station de chemin de fer de Marcheprime. Le lendemain ils prendront le premier train pour Bordeaux et de là, partiront le même jour pour Paris. "L'ascension aura duré 22 heures et 40 minutes. Tous les objectifs sont atteints, le record, détenu jusqu'alors par l'incontournable aéronaute anglais, Charles Green, pour un vol de 18 heures réalisé en 1836, est battu et même pulvérisé. Cette performance, à son tour, résistera de longues années, puisqu'elle ne sera dépassée que les 12 et 13 septembre 1886. A cette date, le ballon Le National, monté par Henri Hervé, réussira une ascension d'une durée de 24 heures et 30 minutes comprenant la traversée de la Manche dans le sens France-Angleterre." "Après un tel succès, à peine remis de leurs émotions, le matériel révisé et réparé, la Société Française de Navigation Aérienne ayant donné son blanc-seing, nos héros étaient prêts pour passer, avec le Zénith, à la deuxième étape de l'expérimentation : "toujours plus haut". " Au petit matin du 15 avril suivant, toute une équipe s'affaire de nouveau, près de l'usine à gaz de la Villette, aux préparatifs annonciateurs d'un envol. Comme la fois précédente, le gonflage du ballon est exécuté sous le contrôle avisé d'Adrien Duté-Poitevin, le beau-frère de Sivel. Mais cette fois, la réussite de l'expérience risque d'être directement proportionnelle au poids emporté. Il a donc fallu se résoudre à réduire le nombre des aéronautes amenés à la tenter. Après bien des conciliabules et des discussions, il a été décidé, d'un commun accord, que seuls Crocé-Spinelli, Sivel et Gaston Tissandier seraient du voyage. "Comme lors de la précédente ascension, tout un attirail scientifique, dont une partie servira à faire face aux problèmes respiratoires dus à la raréfaction de l'air en haute altitude, est embarqué. Le "lâchez tout" est donné à 11 heures 35 minutes exactement. "A 16 heures, dans l'Indre, sur le territoire de la petite commune de Ciron, le Zénith ramenait à terre deux morts, Crocé-Spinelli et Sivel, et un blessé, Gaston Tissandier. "Que s'était-il passé ? "L'ascension avait fort bien commencé. En atteignant 7 000 mètres, les aéronautes avaient ressenti cette oppression caractéristique des grandes altitudes et avaient inhalé, suivant les prescriptions de Paul Bert, l'oxygène contenu dans les réservoirs appropriés. A 7 500 mètres, les trois hommes tour à tour étaient pris d'une sorte de torpeur mélancolique. Mais assez vite, le ballon entamait une descente qui allait leur permettre de retrouver un air plus favorable. "Malheureusement, et suivant le témoignage du seul rescapé, Crocé-Spinelli se serait brutalement réveillé aux alentours de 6.000 mètres et pour une raison restée inconnue aurait jeté par-dessus bord tout ce qui lui tombait sous la main. Cette attitude incompréhensible aurait aussitôt entraîné une remontée brutale du ballon. Celle-ci allait le propulser jusqu'à 8.600 mètres alors que les trois passagers sombraient, d'abord dans un profond engourdissement, ensuite dans un véritable coma, dont seul Gaston Tissandier sortirait au cours d'une nouvelle descente engagée par le ballon. Redevenu à peu près conscient, celui-ci reprenait le contrôle de l'aérostat et parvenait à réussir un atterrissage de fortune. Malheureusement ses deux compagnons, le visage cireux et la bouche en sang, avaient cessé de vivre. "Louis Figuier, dès l'année suivante dans son Année Scientifique et Industrielle, proposera l'hypothèse, qui semble aujourd'hui encore la plus plausible, des raisons de cette catastrophe. Il voit deux causes à cet accident :
"Et la seconde :
"Après deux jours de repos forcé, Gaston Tissandier, très choqué, pouvait rentrer à Paris et assister aux funérailles grandioses réservées à ses deux malheureux compagnons, martyrs de la science. Il est facile de deviner le bruit qu'avait fait cette catastrophe dont il était question dans tous les journaux. "Une souscription publique était ouverte qui permettait d'ériger à la gloire de ces deux héros un magnifique tombeau dans le cimetière du Père-Lachaise. Le monument ne sera inauguré que le 25 mars 1881. Paul Bert sera nommé subrogé-tuteur de Marie, la fille de Sivel, devenue orpheline. L'examen des différents documents et des mesures enregistrées permettra de confirmer de façon quasi certaine l'altitude de 8.600 mètres atteinte par le Zénith. C'était la deuxième meilleure performance jamais réalisée, mais à quel prix ! Un ballon anglais, monté par les aéronautes Coxwell et Glaisher, avait sans doute légèrement dépassé en 1862, les 8.800 mètres.. "Durant la grande guerre, Maurice Dreyfous, qui avait été l'éditeur de Gaston Tissandier, écrira dans un livre de souvenirs que ce grand aéronaute lui aurait révélé certains détails sur la catastrophe du Zénith qu'il avait jusqu'alors volontairement cachés au public. "Et l'on apprend que ce serait Sivel, et non Crocé-Spinelli, qui serait à l'origine de la brusque et mortelle remontée du ballon. Celui-ci, qui avait la charge de contrôler à chaque instant sur le baromètre l'altitude du ballon, aurait été victime de sa myopie et aurait cru lire que l'aérostat allait toucher terre. Et c'est lui qui aurait alors lancé par-dessus bord tout ce qui s'était trouvé à sa portée. "Maurice Dreyfous raconte aussi que Gaston Tissandier avait gardé, de cette terrible ascension du Zénith, une méchante surdité qui allait s'augmenter avec l'âge. En 1899, il mourra fou, atteint d'accès de vanité maladive". Extraits d'un texte écrit par Entre deux aventures, M. Tissandier qui savait vivre offrait des banquets à ses collaborateurs de la revue Nature Voici le menu de celui de 1887: Quand on voit comment nos aéronautes s'équipaient pour tester leurs machines volantes, on se dit qu'il pouvait bien manger ce qu'ils voulaient, ce n'est pas d'indigestion qu'ils mourraient: Je vous recommande une balade sur le site de la "library of congress" (la bibliothèque du congrès américain), reflet de la richesse extraordinaire de cette très grande bibliothèque. Mais prenez garde: sauvegardez tout ce qui vous plaira, vous risquez de ne jamais le retrouver, tant le ou les architectes de ce méga-site se sont ingéniés à en rendre la navigation pénible sinon impossible. A défaut de cartes postales, le record mondial de durée en vol entre Paris et Arcachon sera célébré par un chromo:
21/11/10 | ||