La reine a été exilée
par le général Joseph-Simon Galliéni,
futur maréchal de France, nommé en 1896 gouverneur
général de Madagascar pour y mater une rebéllion.
Avant
que vous ne lisiez les péripéties du départ
en exil de la reine, je vous recommande ce
site pour découvrir son amant toulousain
UNE
ÉPISODE DE L'HISTOIRE DE MADAGASCAR
RANAVALO
EN EXIL
Le 3 mars 1897, à l'aube, Ranavalona
Mpanaka lll franchissait pour la dernière fois la
porte de son palais, en route pour l'exil. L'arme au pied,
une compagnie de tirailleurs haoussas remplaçait
ce jour là le cortège d'honneur et devait
servir d'escorte jusqu'à Tamatave, tout le long du
chemin peu sûr, si favorable aux embuscades et aux
surprises.
Deux cents porteurs se partagent les colis royaux : malles
géantes, coffrets de fer pleins de bijoux précieux.
Les principaux personnages, dans cette interminable file
qui au trot des bourjanes descend vers la côte, sont,
avec la Reine, sa sur Rasendranoro et la fille de
celle-ci Razafinandriamanitra, "Enfant du Bon Dieu",
puis le secrétaire intime, Ramanankirahina.
Les serviteurs sont rares, qui ont consenti à partager
la disgrâce de leur maîtresse ; encore chaque
étape marque-t-lle de nombreuses défections,
chaque sentier libre à travers la brousse étant
un prétexte à de lâches abandons, et
Ranavalo en souffre profondément : "Les ingrats!...
comme ils m'oublient vite!... "
Contre
toute tentative d'enlèvement, les dispositions sont
remarquablement conçues: on ne quitte un poste qu'après
avoir reçu du suivant l'avis que la route est sûre.
C'est qu'en effet si les Hovas, terrorisés par cette
énergique mesure qui les frappe à la tête,
ne sont vraisemblablement pas trop à craindre, par
contre on a tout à redouter du dépit des colons
mauriciens, propagateurs turbulents des sympathies anglaises
dans l'île.
Mais, hâtons-nous de le constater, c'est sans incident
fâcheux que l'on arriva à Tamatave, sept jours
après le départ.
Dans une spacieuse villa bien gardée, la Reine et
sa suite y attendront le navire de guerre, le " Sambo
be " qui fera le reste de ce long chemin vers l'exil.
Dès le 10 au matin, celui-ci prend son mouillage,
et aussitôt les bagages sont transportés à
bord, ainsi que le personnel domestique; à la tombée
de la nuit, c'est le tour des deux princesses et du secrétaire,
et enfin vers neuf heures Ranavalo nous arrive aussi, habillée
d'une toilette des plus riches, de soie beige avec ornements
de perles.
On la conduit à l'appartement qui lui a été
préparé - le salon du Commandant- et qu'elle
partagera avec sa sur et sa nièce.
Cette sur est affublée d'un corsage rosé
tendre et d'une jupe à traîne en satin vert
pomme... Autant Ranavalo montre de goût et de bonnes
manières, autant, par contre, l'énorme Rasedranoro
nous apparaît grotesque, avec son luxe de mauvais
aloi... Nous savons déjà, d'ailleurs, qu'elle
est particulièrement mal élevée et
sympathise tout spécialement avec les liqueurs fortes:
aussi prend-on les mesures propres à éviter
le spectacle peu digne d'une princesse en goguette...
Razafine, heureusement, ne ressemble point à son
aimable mère. Drapant avec fierté ses flancs
de fillette, alourdis par une maternité imminente,
dans les plis du lamba national, elle est la seule parmi
les exilés, dont le visage se soit sincèrement
imprégné de mélancolie, à la
pensée des vastes horizons de rizières ondoyantes
à jamais perdus, et devant la nécessité
d'abandonner cette multitude de petits cerfs-volants multicolores
qu'elle aimait tant à lancer, du sommet des tours,
à l'heure favorite du crépuscule, et dont
les moindres mouvements, au hasard des brises, révélaient
à son âme attendrie de très graves choses,
selon la confiance inébranlable qu'elle y accordait...
Sur le pont, dans un coin, les serviteurs, quelque peu effrayés,
se tassent en tremblant, et tout à fond de cale,
M. Andrianaiavoravelona... (mon Dieu!...), pasteur protestant
qui montra un zèle intempestif, voyagera aux fers...
A 6 heures, le lendemain matin, le "Lapérouse"
appareille, en route vers Sainte-Marie, où il doit
prendre Ramasindrazana, tante de la Reine, qui depuis plusieurs
mois déjà expie là l'abondance de ses
sentiments anglophiles.
Le
roulis, assez ample, incommode fort tout ce monde peu marin;
seule, Ranavalo se comporte à merveille, ce qui la
rend peu charitable à l'égard de ceux que
la douleur courbe par dessus le bastingage. Un poisson volant,
la crête d'une lame qui déferle, un rien, suffisent
à l'étonner; et aussi ce sont des questions
incessantes, auxquelles ce pauvre Ramanankirahina, entre
deux nausées, répond tant bien que mal.
Ce "ministre intime " est en effet le personnage
instruit de la bande, étant revenu d'un long séjour
à Paris avec une connaissance parfaite de la langue
française et un double petit talent d'aquarelliste
et d'architecte qui lui avait valu le ruban violet...
Il pleut, et quelle pluie ! Cette pluie tropicale qui tombe
par nappes denses et lourdes à faire mal aux épaules.
Et cependant, au moment où nous arrivons en rade
de Sainte-Marie, le soleil, toujours âpre à
prendre sa revanche, dans ces contrées, se montre,
accablant, même pour les indigènes que nous
apercevons étendus en grand, nombre en des poses
lasses, sous la voûte épaisse des manguiers
qui longent la mer. du côté d'Amboudi-fotsy.
Les arbres de cette avenue, plantés là par
les premiers Français qui s'établirent dans
l'île, ont atteint des proportions colossales et font
songer aux vieilles châtaigneraies du Poitou... Et
pourtant, quel délabrement dans ces pauvres villages
du littoral, qu'abandonnent d'ailleurs de plus en plus leurs
rares habitants, pour aller chercher un peu de travail et
quelques ressources sur la grande Terre, à Tamatave
ou à Majunga!
Sur une colline qui domine la rade on avait construit autrefois
un fortin, où étaient internés
au moment de notre passage quelques princes comoriens, et
où Ramasindrazana, aussi, subissait sa peine. Bientôt
elle nous arrive avec son bagage, composé modestement
d'une dizaine d'énormes malles, et dès lors,
maintenant au complet, il ne nous reste plus qu'à
faire route vers le terme du voyage.
Et pour tous ces personnages, que nous transportons ainsi,
nous n'avons que peu de sympathies assurément, sauf
peut-être pour la Reine, plus mal conseillée
que réellement hostile à la France; mais surtout
pour la "Petite Princesse", comme nous avions
appelé Razafime dès les premiers jours. Celle-là,
nous l'aimions, même, mais comme on aime une poupée
belle et fragile ; nous en étions venus jusqu'à
nous disputer l'honneur d'essuyer d'une batiste la sueur
qui ne manquait pas de perler au bout de son nez, alors
qu'aux instants où le terrible mal de mer lui laissait
quelque répit, elle s'escrimait à jouer sur
notre vieux piano de bord des gigues et des quadrilles au
rythme inconcevable.
Bref, les heures de traversée passèrent vite,
pour nous, distraits de la monotonie coutumière par
de tels hôtes, et pour eux, émerveillés
sans cesse par les aspects changeants, la féerie
toujours renouvelée de la mer que presque tous ils
voyaient pour la première fois.
Le 14 au matin, le "Lapérouse" s'amarrait
dans le Port des Galets, et on s'occupait tout de suite
de commander un train spécial pour conduire la Reine
à Saint-Denis, la capitale, si bien que le soir même
tout ce monde était logé à l'hôtel
pour quelques jours, en attendant qu'il fût pourvu
de demeures définitives.
Dès
le lendemain, Razafinandriamanitra, profitant enfin du repos,
le premier depuis le départ de Tananarive, donnait
le jour à une fille que l'on baptisa à la
cathédrale sous le nom de Marie-Louise.
Ranavalo fut installée dans une villa confortable
et spacieuse où nous nous plaisions à la visiter
souvent.
Un jour, comme je m'en revenais vers l'hôtel où
la jeune maman demeurait encore, on me dit .brutalement
qu'elle était au plus mal et refusait obstinément
de prendre les médicaments indispensables.Sans doute
s'imaginait-elle que nous étions, nous autres vazahas,
comme ceux de sa race et traitions les prisonniers par l'épreuve
du tanghin, ce poison violent qu'on administra si longtemps
par les soins de la cour d'Ëmyrne et qui, à
certaines époques, tua chaque année des milliers
de personnes...
Toujours est-il que pour la tranquilliser je dus me dévouer
et goûter avant elle à tous ces breuvages,
qu'elle absorbait ensuite en toute confiance.
Mais tout fut inutile, car soudain, un soir, la vie de Razafine
s'enfuit avec un flot de sang, et -cette mort nous consterna
intimement, nous tous qui avions été pris
au charme de tant de jeunesse attristée de tant de
douleurs, déjà.
A la nuit, dans un cercueil trop court établi à
la hâte, on. mit le frêle cadavre, après
l'accomplissement ponctuel des vieilles traditions coutumières.
Une piécette d'or fut glissée entre les dents
serrées - le tribut à payer, qui sait? au
sombre nautonier- l'annulaire s'orna de l'anneau des immortelles
fiançailles; après quoi, serrées et
enroulées dans de multiples lambas de soie violette,
ces pauvres dépouilles prirent l'aspect d'un jouet
d'enfant précieusement emballé, ficelé
aux deux bouts d'un large ruban en fil d'or.
Pour que personne ne put reprocher à la France un
mépris quelconque des rites traditionnels, si minutieux
pour les Hovas, lorsqu'ils ont trait au culte des défunts,
l'interprète, quand tout fut fini et la funèbre
boîte clouée, s'adressant à tous, -esclaves
et familiers accourus, proclama :
"Est-ce bien ainsi ? et les vazahas ont-ils agi conformément
au cérémonial et aux coutumes ?"
- C'est bien ainsi !" répondirent les assistants
en pleurs...
Une simple pierre blanche marque, au cimetière de
Saint-Denis, la place de la "Petite fille.du Bon Dieu",
une simple pierre avec cette courte épitaphe, éloquente,.
à dire vrai, en sa brièveté :
PRINCESSE RAZAFINANDRIAMANITRA
(1882-1897).
Aux
côtés de Ranavalo qui l'élève
avec un soin jaloux, Marie-Louise grandit, parée
de tout le charme de ceux de son âge, avec, en plus,
une physionomie plus réfléchie, où
se devine parfois l'ardente nostalgie.
Et aussi bien la nature toujours reste maîtresse.
On peut étonner l'ex-Reine par le grandiose spectacle
de Paris qui l'acclame, mais sans parvenir jamais à
étouffer les réminiscences chères,
celles qui lui font revivre les temps heureux et les triomphes
d'antan, de telle sorte qu'auprès de sa pupille les
meilleures heures passées sont à coup sûr
celles consacrées aux entretiens intimes, où
elle lui parle du pays et lui enseigne son étonnante
histoire...
PIERRE
DE KADORE
Dans
le Magasin Pittoresque 1901, (Bibliothèque nationale
de France)
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