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La jetée Legallais et le Grand Hôtel

Date postale :                                 Période de publication :

Le quartier Legallais a pris le nom de François Legallais, un aventurier, qui sur le tard s'assagit en épousant une riche Testerine. Il ouvrira en 1823 à l'est d'Eyrac, le premier hotel sur les bords du bassin. La jetée qui porte son nom sera plusieurs fois emportée par la mer. Elle a servi un temps de base pour les départs de régates.
Tout près de là, le Grand Hôtel offre depuis 1866 à quelque 100 touristes fortunés le grand luxe des bains de mer. Il sera détruit totalement le 21 septembre 1906 par un incendie et ne retrouvera jamais vraiment sa splendeur d'antan.

Le Grand-Hôtel
Le Grand Hôtel du temps de sa splendeur (photo Neurdein)

Le Grand Hôtel
Le Grand Hôtel, photo sur papier albuminé de 1885 (Col. privée)

Jérome
Vue de la plage depuis le Grand Hôtel (Cliché Jérôme, coll. particulière)
Cliquez sur une photo pour l'agrandir.

Cette troisième photo signée Jérôme est exceptionnelle; elle fourmille de détails mais surtout elle peut être datée avec une relative précision puisque le photographe n'a exercé à Arcachon qu'entre 1873 et 1878. Elle montre la plage une vingtaine d'années après la création de la ville : le front de mer est intégralement construit, le château Deganne dans le fond a perdu son clocheton dans une tempête et on aperçoit le Musée Aquarium que l'actuelle municipalité veut détruire (certainement dans un souci de préservation et de mise en valeur du patrimoine de la ville...).

Cette photo donne également une image des rapports sociaux dans la ville : sur la plage, les pêcheurs n'ont pas encore perdu la bataille qui les oppose depuis la création de la ville aux "riches et aux puissants", ils font encore sécher leurs odorants filets sur la plage à quelques mètres du luxueux Grand Hôtel. Les pinasses sont tirées sur la plage, les voiles formant une tente pour s'abriter. Au milieu de ces outils professionnels trône un établissement de bains, où les clients du Grand Hôtel peuvent venir prendre leurs bains de mer à l'abri des regards.

Incendie Grand Hôtel 1906
Cliquez sur une photo pour l'agrandir. (Collection JPASA)

1906, le drame. Un incendie détruit totalement le Grand Hôtel qui, reconstruit, rouvrira en 1910, sans jamais retrouver sa splendeur d'antan. Cet hôtel magnifique a connu le sort de bien d'autres bâtiments à Arcachon et a été transformé en "résidence", ses grands espaces étant découpés pour faire des "appartements". Un bout de salle à manger plus un tronçon du hall fera un "magnifique" F3 comme on dit aujourd'hui...

L'Avenir d'Arcachon a évidemment publié un article à la Une :

Avenir d’Arcachon N° 2807 du 23/9/1906

Incendie du Grand-Hôtel

Dans la nuit du jeudi au vendredi 21 septembre, le feu s’est déclaré au Grand-Hôtel et l’a complètement détruit ; c’est le plus grand malheur industriel qui put atteindre la ville d’Arcachon.

Vers 2 heures du matin, une forte odeur de brûlé se dégageait dans l’aile de l’Est. Le feu avait pris dans une pièce inoccupée du premier étage, gagné les cloisons, atteint les charpentes, et peut-être aussi par suite des conduites de gaz et d’électricité, se propageait d’une manière effrayante dans toutes les directions du vaste établissement.

L’apport de l’eau était difficile à effectuer. M. Ferras s’y mit avec son personnel et espéra circonscrire le danger ; mais les pompes et l’organisation de la Ville sont insignifiantes.

M. Ferras et sa famille déployèrent un courage et un dévouement à toute épreuve, pour appeler et grouper les moyens d’extinction, et quand ils virent que la marche de l’incendie devenait instantanée et foudroyante, il s’évertuèrent à sauver la vie des clients et clientes, très nombreux à cette époque de l’année.



Grâce à des prodiges d’efforts et d’activité, ils parvinrent à faire évacuer cet immeuble considérable, sans qu’il y ait de mort à déplorer. En vêtements de nuit, les voyageurs se répartirent à l’Hôtel Continental en forêt et dans les différents hôtels de la Ville.



Le feu n’étant circonscrit dans aucun endroit, mais réparti sur un embrasement général, les plafonds commencèrent à s’effondrer, et l’œuvre de destruction s’accomplit avec une rapidité vertigineuse et terrible.

A 4 h. du matin, notre splendide et malheureux Grand-Hôtel ne représentait qu’un immense amas de flammes s’élançant entre les gros murs en langues de feu, à une hauteur énorme.

Si au lieu d’une nuit très calme, le moindre vent avait soufflé, tout le quartier pouvait être atteint.

Le Gand-Hôtel, propriété appartenant à M. Léon Lesca, et d’une valeur de deux millions, avait été construit en 1865. Tout y était monumental : les escaliers, ascenseur, établissement balnéaire et d’hydrothérapie, salle de garage automobile, un immense hall de rez-de-chaussée, des salons de 25 mètres de long sur 10 de large, salons de l’Est, salons de l’Ouest, restaurant d’hiver, restaurant vitré d’été, des terrasses, des balcons, 300 chambres, et des salons aussi aux étages meublés luxueusement, en faisaient un des plus beaux, des plus spacieux, des plus fastueux hôtels du Sud-Ouest.



M. Léon Lesca, notre ancien conseiller général, qui a fait tant de bien à ce pays, qui a toujours représenté et défendu l’intérêt général avec une infatigable sollicitude, qui a toujours fait et fait encore tant de sacrifices de temps et d’argent pour Arcachon, la station et la région, venait récemment d’éprouver, dans les incendies de forêts de la semaine dernière, une perte de 500 hectares, dont 400 hectares de bois à Salaunes, et 120 à St-Jean-d’Illac.



Ce nouveau sinistre dans son aveugle fatalité, ce Grand-Hôtel détruit à 40 ans de sa date de construction, est comme nous le disions tout-à-l’heure, un malheur privé et public.

Au milieu de ses jardins, entre le boulevard et la plage, il ne reste plus que les quatre murs de ce grandiose édifice carré ; tout s’est écroulé, s’est effondré sur le centre ; tout a été englouti dans l’incandescence du foyer.

Espérons pour notre pays que ce malheur ne sera pas irréparable et irréparé, notre vitalité urbaine en serait irrémédiablement atteinte.



E.G.


Une semaine plus tard, le journal publie une revue de presse de son cru:

Avenir d’Arcachon N° 2808 du 30/9/1906

Pompe à vapeur

L’incendie du Grand-Hôtel a été raconté diversement dans les journaux locaux et régionaux.



« LA VIGIE », journal municipal, ne pouvait pas constater que des pompes à bras sont insuffisantes pour projeter de l’eau à 16 mètres de hauteur, et que seule une pompe à vapeur serait plus utile que des fusils entre les mains des pompiers ; que cette dépense urbaine eut été préférable à bien des dépenses électorales ou somptuaires figurant au budget. Elle se plaint, suivant le cliché habituel, des administrations précédentes pour dégager l’administration actuelle. Elle dit ceci :

« Malheureusement il est du traité passé avec la Compagnie des Eaux en 1882 comme de celui conclu avec la Compagnie du Gaz. L’assemblée communale d’alors a négligé de prévoir des clauses entraînant pour les Compagnies certaines obligations.

« Malheureusement les conventions en cours ont été conclues pour une durée de 75 ans et ne prendront fin que le 31 décembre 1956 ! »

Après cette sortie contre la Compagnie des eaux et la Compagnie du gaz, et les anciens maires, la Vigie qui tient à démontrer que c’est le lapin qui avait commencé, reproche au Grand-Hôtel de n’avoir pas eu dans les combles un réservoir d’eau suffisant.



Qu’un autre immeuble brûle faute de pompe à vapeur aspirante et foulante ayant suffisamment de pression pour envoyer de l’eau sur les toits, on répondra qu’il aurait suffit d’avoir en permanence dans chaque grenier un bassin de réserve… Voilà les raisonnements municipaux.



« LA PETITE GIRONDE », qui probablement n’avait pas été renseignée par son nouveau correspondant, informe, comme faits sensationnels, que « MM. Bourdier et Canton étaient sur le théâtre de l’incendie » en omettant d’ajouter que M. le Maire était comme d’ordinaire absent, mais que le lendemain il a offert un déjeuner aux pompiers. Et le surlendemain elle rectifie ses autres informations.

« LA FRANCE » consacre aussi un article de rectification aux erreurs d’évaluation commises et parues précédemment ; soit sur l’importance des pertes, soit sur les causes de l’incendie. Ce reportage écrit dans le même esprit que celui de la Vigie, semble émaner de la même personne, mais comme là elle n’est pas tenue à la déférence obligatoire de la feuille municipale, elle termine en risquant le seul raisonnement logique que nous avons formulé tout d’abord :

« Comble d’ironie, on a manqué d’eau au moment de la pleine mer, alors que les eaux du Bassin baignaient la terrasse du Grand-Hôtel. Si les pompiers, au lieu d’une pompe à bras disposaient d’une pompe à vapeur aspirante et foulante, ils eussent pu inonder l’immeuble d’eau salée, au lieu d’assister impuissants aux progrès du sinistre. »



M. le Maire et ses correspondants de journaux sont tellement absorbés par d’autres occupations, qu’il faut excuser ces imperfections de services d’informations rectifiées, et que de plus, une séance d’octobre fera probablement la promesse d’une pompe à vapeur à pression aspirante et foulante.

Pour que l’eau monte assez haut,
C’est la Pompe qu’il nous faut !


27/06/15