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Grève à Arcachon

Arcachon n'est pas seulement cette station balnéaire de rêve, cette villégiature pour les richissimes "estrangeys de distinction", qui feront sa fortune.
C'est aussi une ville avec ses travailleurs, son industrie, centrée autour de la pêche. A la fin des années 10, Arcachon, deuxième port de pêche de France, enverra ses chalutiers à Terre-Neuve et en Islande.
Qui dit chalutiers dit marins et armateurs et les relations entre eux obéissent aux lois du genre. La grève est déjà le moyen de faire plier le patron.
Les cartes postales montrant ces mouvements sociaux sont rarissimes; en voici deux montrant les cuisines des grévistes, des "cuisines communistes" bien sûr.

Cuisiniers grévistes
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La chère n'était pas abondante pour ces grévistes. Cette carte cache un personnage étrange dont on se demande ce qu'il fait là, sérieux sous son chapeau, à droite à l'arrière plan:

Qui est-ce ?

Est-ce un révolutionnaire professionnel ou plus prosaïquement un permanent syndical ? Peut-être est-ce le président du syndicat des grévistes, M. Cazeaux.

Les gosses ne devaient pas trouver grand changement dans leur nouveau statut de grévistes: qu'il travaille ou non, il leur fallait éplucher les pommes de terres et cela n'a pas l'air de leur plaire:

Les mousses

Cette deuxième carte est encore plus expressive avec les enfants à droite qui viennent admirer les "héros" et la pitance exposée aux pieds des marins:

Photo de famille
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Pas grand chose à se partager !

La grève est un moment important dans la vie d'un ouvrier ou d'un pêcheur, surtout à cette époque qui montrait si peu de tendresse aux petits et aux "prolétaires". Quand on en est réduit à cette extrémité, il faut absolument marquer le coup et conserver des souvenirs. C'est à ce moment là qu'interviennent les photographes qui immortalisent ces scènes improbables de familles (en fait surtout des enfants et des hommes), pour à l'époque éditer ces clichés sous forme de cartes postales.
Christian Chambon, photographe et éditeur de Bordeaux, ne savait sûrement pas qu'en prenant ce cliché en 1900, il ne faisait pas que son travail, mais qu'il donnait le coup d'envoi d'une chasse au trésor qui dure encore: je ne connais aucun collectionneur de cartes postales d'Arcachon qui possède ces trois cartes. C'est vous dire si je les guette ...

Familles
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inscrits grévistes
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Inscrits grévistes et leur famille

L'Avenir d'Arcachon ne pouvait bien sûr pas se désintéresser de tels mouvements; voici le compte rendu qu'il fait d'une grève de 4 jours en octobre 1900

Avenir d’Arcachon N° 2496 du 7 octobre 1900

Une grève à Arcachon

Dans l’après-midi de dimanche, les chauffeurs, soutiers et marins inscrits, appartement aux vapeurs des quatre compagnies de pêche : Pêcheries de l’Océan, du Golfe de Gascogne, Normande et Française, se sont mis en grève et ont quitté leurs bords.

Ces diverses pêcheries comptent environ 23 vapeurs. Les grévistes sont au nombre de 175 à 200.

Dès dimanche soir, une délégation s’est rendue aux diverses pêcheries, pour exposer les revendications.

Il n’est formulé aucun reproche contre les Pêcheries de l’Océan, ni contre la Pêcherie Française, directeur M. A. Milhet. Les revendications visent principalement la Pêcherie Normande dont est directeur M. Soulé de Brugère. Cette dernière pêcherie donne un salaire fixe sensiblement égal à celui des autres pêcheries, mais au lieu de desservir une part de pêche évaluée à 40 ou 50 fracs par mois, comme dans les autres compagnies, elle réduit cette part dans des proportions telles qu’elle est devenue presque nulle. Telle est, disaient les grévistes, l’origine et la cause majeure de leur mécontentement.

En conséquence, les grévistes demandent comme condition à la reprise du travail, à renoncer à l’avenir à leur part de pêche, mais à voir augmenter leur salaire fixe et mensuel, et cela dans les proportions auxquelles peut être estimée la dite part de pêche.

Le syndicat de revendication se compose de MM. Cazeaux, Caupos, Saboureau, Aussant, Labeyrie.

Le commissaire de police, M. Tricoche a eu une entrevue avec le président du bureau, exposant que les marins auraient dû donner quatre jours aux patrons avant de quitter leur bord, et qu’ils auraient pu, sans chômage, arriver à un meilleur résultat par délégations.

M. le Président du Bureau a promis que l’attitude des grévistes serait des plus calmes et que l’ordre public ne serait en rien troublé.

A propos de cette grève, nous croyons intéressant de donner le relevé suivant; l’Office du Travail publie la statistique des grèves maritimes en août dernier, causées par des demandes d’augmentation de salaire  :

  • Le Havre, chauffeurs et matelots, 1.148 grévistes, transaction ;
  • Dieppe, chauffeurs, 40 grévistes, réussite ;
  • Rouen, chauffeurs, 80 grévistes, réussite ;
  • Le Havre, gratteurs et peintres, carèneurs, 80 grévistes, réussite ;
  • Le Havre, voiliers et bâcheuses, 48 grévistes ;
  • Le Havre, mécaniciens, chaudronniers et autres ouvriers constructeurs navals, 3.500 grévistes ;
  • Elbeuf, déchargeurs de charbon, 30 grévistes, réussite ;
  • Le Havre, déchargeurs de charbon, 150 grévistes, échec ;
  • Le Havre, perceurs et riveurs, 48 grévistes, échec ;
  • Marseille, Ajaccio, Bastia, Cette, Nice et Port-Vendres, chauffeurs et matelots, 2.000 grévistes, transaction ;
  • Marseille, ouvriers du port, 1.800 grévistes, réussite ;
  • Marseille, carèneurs, 200 grévistes, transaction ;
  • Marseille, démolisseurs de navires, 92 grévistes ;
  • Marseille, chaudronniers de marine, 1.200 grévistes, échec;
  • Dunkerque, chauffeurs et matelots, 250 grévistes, transaction ;
  • Dunkerque, ouvriers du port, 3.000 grévistes, transaction ;
  • Dunkerque, charpentiers de navires, 200 grévistes ;
  • Dunkerque, ouvriers constructeurs navals, 300 grévistes, échec ;
  • Dunkerque, voiliers et bâcheuses, 150 grévistes, transaction;
  • Bordeaux, chauffeurs et matelots, 900 grévistes, réussite ;
  • Nantes, chauffeurs et matelots, 53 grévistes, transaction ;
  • Bastia, ouvriers du port, 50 grévistes, réussite ;
  • Bayonne, chauffeurs et matelots, 90 gréviste, réussite ;
  • Bône, ouvriers du port, 600 grévistes, transaction.

Pour en revenir à notre affaire, le lundi 1er octobre au matin et dans l’après-midi furent tenues par les grévistes deux réunions. Dans la dernière, M. Veyrier-Montagnères, maire d’Arcachon demanda à être admis et entendu , ce qui lui fut, au vote, accordé.

Le mardi 2 octobre à 10 heures du matin, M. Veyrier-Montagnères exposa dans la réunion du syndicat des chauffeurs, soutiers et marins, qu’il s’était abouché avec les directeurs des diverses Pêcheries, qu’il avait plaidé la cause des syndiqués, mais qu’il n’avait pu rien obtenir.

En conséquence il proposait qu’il fut constitué une commission de 12 délégués, soit trois par Pêcherie, à savoir : 1 chauffeur et 2 matelots, laquelle commission se rendrait à la mairie, mardi à 4 heures ¼ pour s’entendre avec les représentants des diverses compagnies de pêche.

Cette réunion, consentie de part et d’autre, s’est tenue à l’heure indiquée.

Notre rédacteur en chef ayant demandé à y assister, l’assemblée sur la proposition de M. le Maire, décida que la presse ne serait pas admise. Le même représentant de la presse ayant demandé qu’une note identique fut communiquée à tous les journaux de la région indistinctement, il fut répondu par MM. Despujols et Avril, que la réunion apprécierait ultérieurement l’opportunité de cette communication.

Or, dans cette réunion, les sociétés de pêche ont fait les propositions suivantes :

Salaires – Seconds, 135 fr. ; premiers chauffeurs, 135 fr. ; chauffeurs, 120 fr.; matelots, 110 fr.

Part de pêche en plus, calculée d’après le tarif commun, accepté par toutes les Sociétés : 10 fr. par 100 kg de soles, 5 fr. par 100 merlus, 10 fr. par 100 turbots et barbues, 2 fr. par manne de rougets, 1 fr. par manne de divers, 50 centimes par manne de chaudrée, 2 fr. par 100 kg de raies.

Ces propositions sont faites sous la condition que les matelots et chauffeurs embarqueront dès le lendemain mercredi.

En principe les dites propositions ont été acceptées par les délégués des grévistes à deux ou trois voix près.

Relativement aux parts de pêche, il est entendu que le contrôle serait fait d’après le Système que les chauffeurs et matelots indiqueraient aux sociétés. Les patrons faisant un état à bord, les équipages doivent savoir exactement ce qui a été pêché, et d’après le tarif, le calcul de la pêche peut se faire sans conteste.

Mardi soir à 8 heures, le syndicat des grévistes s’est réuni au café du Port à St-Ferdinand.

M. le Président et tout le bureau du syndicat se sont efforcés de faire accepter, par l’assemblée générale, les propositions qui avaient été faites par les Compagnies de pêche, et acceptées par les délégués des grévistes.

Mais, malgré leurs efforts, sur 108 votants il y a eu 39 oui, 68 non et un bulletin nul.

Certainement les syndiqués auraient écouté les conseils de leur bureau et adhéré aux propositions, mais il y a chez eux une certaine crainte, une méfiance que le contrôle et la vérification du produit des pêches ne soit pas fait en toute impartialité.

Dans une réunion tenue mercredi à 10 heures du matin, le bureau s’est efforcé de démontrer que la vérification peut être faite sous le contrôle le plus sérieux, aussitôt après la pêche et à bord, à l’aide d’un étiquetage indiquant sur chaque manne les poids et quantités.

Il estimait d’autre part que les maisons de pêche sont au-dessus du soupçon de commettre quelque malversation ou fraude que ce soit. Et concluait en observant qu’au cas où dans l’avenir les présentes conventions ne seraient pas scrupuleusement respectées, les parties lésées resteraient toujours armées de leur droit de grève.

Mercredi, à la réunion de 10 heures du matin, M. Cazeaux, président, qui connaissait parfaitement l’affaire, crut le moment opportun de faire revenir les dissidents sur leur vote de la veille. Il engage donc les pêcheurs de chaque bord à afficher chaque jour sur l’avant de la cuisine du bateau, les résultats de la pêche quotidienne, et indique que ce moyen sera le meilleur des contrôles.

Il est procédé au vote par bulletin secret, sur les propositions formulées mardi tantôt par les Compagnies de pêche. Sur 152 votants, l’urne donne 111 oui, 32 non et 9 bulletins nuls.

A onze heures la réunion est close, la reprise du travail est consentie, et la grève cesse.

M. Cazeaux, président, autorise alors M. le Maire à entrer dans la salle des délibérations pour remercier les syndiqués de l’esprit de conciliation dont ils ont fait preuve. Le Commissaire de police remercie également le bureau et les grévistes du calme qui n’a cessé de régner pendant toute la grève.

M. le Maire offre enfin un apéritif aux 150 syndiqués présents.

En terminant, nous félicitons notre honorable ami, M. Cazeaux, du rapide et excellent résultat qu’il a obtenu dans l’intérêt de tous, et que nul aussi bien que lui n’aurait fait. C’est ce que nous avions auguré de suite en voyant le bon sens des syndiqués qui l’avaient choisi pour le mettre à leur tête et les guider dans leurs revendications. Nos prévisions n’ont pas été trompées.

Texte recueilli par Aimé Nouailhas

La semaine suivante le même Avenir d'Arcachon publiait une "revue de presse" de ses concurrents à propos de la grève et du rôle éminent joué, selon eux, par le maire de la ville dans sa résolution. Le rédacteur en chef de l'Avenir, Edmond Le Taillandier de Gabory, ne pouvait laisser passer sans réagir de tels louanges à l'égard de son ennemi intime, le maire d'Arcachon, James Veyrier Montagnères et il lui envoyait une (nouvelle) volée de bois vert.

TitreL'avenir d'Arcachon


24/02/15

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