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La baignade à Arcachon vue par les médecins

Même la faculté ne trouve (presque) que des qualités à Arcachon où des "baigneurs de profession" surveillent le bain des enfants, où les établissements de bain vous proposent eau de mer et eau douce, froide ou chaude... dans des "baignoires de cuivre émaillées" et où le dr G. Hameau prenaient, entre deux patients, chaque jour des mesures régulières avec son baromètre, son thermomètre, son hygromètre mais aussi avec son ozonomètre... Le dr Hameau peut ainsi affirmer preuve à l'appui que "le thermomètre monte plus haut et descend moins bas, en moyenne, à Arcachon qu'à Bordeaux".
Vous pourrez en juger avec cet article sur Arcachon publié dans les années 1870 par le "Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales".

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Les bains vus par des médecins


ARCACHON (STATION MARINE ET HIVERNALE), dans le département de la Gironde, dans l'arrondissement de Bordeaux, dans le canton de la Teste, est une commune de 756 habitants, distante de 60 kilomètres de Bordeaux. On s'y rend de cette ville par la ligne du Midi que l'on suit jusqu'à Lamothe d'où un embranchement conduit à Arcachon en cinquante minutes. Des trains spéciaux partent de Bordeaux plusieurs fois par jour pendant la saison des bains. Le bassin formé par le golfe de Gascogne sur lequel Arcachon est bâti a 90 kilomètres de tour ; il est réuni à la haute mer par une passe fort étroite, ce qui en fait un bon port de refuge et le préserve de l'influence de presque tous les vents du large. Sa latitude N. est 44°38', et sa longitude 0. de 3°15' du méridien de Paris. Les côtes N. et S. de la baie sont bordées par des dunes de sable plus ou moins hautes, que les flots ont successivement refoulé et qui sont couvertes de pins, d'arbousiers et de quelques chênes, plantés pour faire obstacle aux envahissements continuels de la mer. Le bassin d'Arcachon est recouvert de barques de pêcheurs ou de plaisance qui sortent chaque jour lorsque la marée les met à flot : il contient aussi un parc d'huîtres souvent visité par les touristes et les baigneurs.

On franchit à environ 100 mètres du débarcadère une tranchée creusée dans des élévations qui protègent Arcachon contre la plupart des vents et des bourrasques qui n'épargnent ni la ville de Bordeaux ni ses environs. Cette situation topographique explique la douceur relative du climat de cette station marine et hivernale dont la température est toujours sensiblement plus élevée que celle de Bordeaux et de tous les endroits voisins moins abrités. L'étendue de la baie sur laquelle passent les vents est assez considérable pour qu'ils aient le temps de se charger d'assez d'humidité pour corriger leur action desséchante, les rendre moins chauds pendant l'été et moins glacés pendant l'hiver.

Le sol est sablonneux et n'est jamais humide, même pendant les temps d'une pluie persistante. Les habitants d'Arcachon peuvent sans crainte sortir aussitôt que l'eau ne tombe plus. Cette grande perméabilité du sol est très goûtée des malades et des convalescents qui redoutent l'humidité et cherchent des chemins toujours secs.

Un sable jaune très fin et très doux que la mer découvre deux fois en vingt-quatre heures, constitue la plage d'Arcachon à peine recouverte de quelques coques et de quelques bancs de varech.

Les baigneurs peuvent aller, à marée haute, sans perdre pied, jusqu'à près de 100 mètres du lieu où ils se mettent à l'eau. Cette disposition d'un sol doucement incliné permet d'abandonner les enfants à leurs ébats et rend inutile la présence des hommes ou des femmes qui surveillent ou aident les baigneurs pendant qu'ils sont à l'eau.

Aucune lame ne se forme sur le bassin d'Arcachon presque complètement abrité des vents qui agitent l'Océan ; aussi les bains de mer s'y prennent-ils comme dans une vaste piscine où l'eau est quelquefois trop chauffée par les rayons du soleil durant les jours caniculaires. Deux établissements de bains de mer chauds existent cependant sur la plage d'Arcachon. Ils sont situés l'un à Etablissement de bainsdroite et l'autre à gauche du vaste et bel Hôtel de la Plage. Huit cabinets sont à la disposition des baigneurs dans le petit établissement ou établissement de droite lorsqu'on fait face au bassin. Le grand établissement, ou établissement de gauche, est bâti sur pilotis, comme le premier, afin que lorsque la mer bat son plein, le rez-de-chaussée ne soit pas immergé. La maison principale des bains de mer chauds d'Arcachon se compose de deux étages, l'inférieur exhaussé de deux mètres environ au-dessus de la plage, est traversé par un grand corridor séparé par une cloison en deux couloirs conduisant aux portes de dix-huit cabinets sans vestiaires, dont neuf sont destinés à chaque sexe. Ces cabinets de 2 mètres carrés contiennent des baignoires de cuivre dont l'intérieur est émaillé, et au-dessus desquelles sont scellés deux robinets qui versent à volonté l'eau de mer froide ou artificiellement chauffée. Seize de ces cabinets sont exclusivement réservés aux baigneurs à l'eau de mer, les deux autres reçoivent de l'eau douce pour bains simples ou médicamenteux. Les bains de décoction d'aiguilles de pin sont assez souvent employés à Arcachon.

Le premier étage du grand établissement contient onze compartiments, dont neuf servent de vestiaires à une seule personne, et deux à quatre ou cinq personnes à la fois. C'est l'étage consacré aux baigneurs à l'eau froide qui Les cabines de baindescendent directement dans le bassin pendant la marée haute ou vont chercher le flot après avoir revêtu leurs costumes. Les autres baigneurs ont sur le bord de la baie, ou dans les rues aboutissant à la plage, leur cabine distincte qui ressemble à une guérite de soldat fermée par une porte à clef. Cette forme disgracieuse devrait être modifiée par les propriétaires des maisons particulières ou des hôtels publics d'Arcachon, la physionomie du pays gagnerait singulièrement à la disparition de ces abris d'un aspect assurément peu agréable.

L'eau du bassin d'Arcachon est plus salée que celle de l'Océan, que celle de la Méditerranée même, ainsi que l'ont appris les analyses chimiques publiées par MM. Fauré, Bouillon-Lagrange, Mialhe< et Figuier.

Voici le tableau comparatif des substances trouvées par MM. Fauré et Bouillon-Lagrange, dans 1.000 grammes des eaux du bassin d'Arcachon, de l'Océan et de la mer Méditerranée :

 
Arcachon
Océan
Méditerranée
  Fauré
Bouillon-Lagrange
Chlorure de sodium
27,985
25,1
25.10
—         magnésium
3,785
3,5
5,25
—         calcium
0,325
Sulfate de magnésie
5,575
5,78
6,25
—       chaux.
0,225
0,15
0,15
—       soude
0,485
Carbonate de chaux et de magnésie
0,315
0,2
0,15
Matière organique animalisée
0,052
Iodures et bromures
indéterm.
indéterm.
indéterm.
Total des matières fixes
38,727
34,75
36,9

La saison des bains de mer commence dans la deuxième quinzaine de mai et finit aux derniers jours du mois d'octobre. Ceux des baigneurs auxquels on a recommandé l'eau un peu froide font bien d'arriver au début ou à la fin de la saison ; ceux auxquels conviennent au contraire les bains de mer à température élevée doivent être prévenus que la fin de juin, le mois de juillet et le commencement d'août, sont les époques qu'il est bon de choisir alors.

Les vents qui dominent à Arcachon sont ceux du N.-0., de l'O. et du S. O.; ils sont plus violents que froids puisqu'ils ont traversé l'Océan, mais leur impétuosité rafraîchit cependant lorsqu'on y est exposé depuis quelque temps. Ces vents soufflent rarement pendant l'été, malheureusement pour les baigneurs et les habitants des bords de la plage, ils ne servent en effet qu'à rendre plus supportables les jours de très grande chaleur. C'est à cause de ces vents que la température de la journée et de la nuit est beaucoup moins subite à Arcachon que dans les autres points de la Provence [ndlr: sic!]. Les vents sévissent surtout pendant les mois de décembre, de janvier et de février, et alors les hôtes d'Arcachon doivent regagner la forêt et ses villas pour ne plus les quitter qu'aux premiers jours de mars. Si les pluies sont fréquentes et persistantes dans le S. O. de la France et principalement à Bordeaux, elles sont assez communes aussi à Arcachon, et les baigneurs et les hivernants doivent être avertis de se munir de vêtements imperméables à l'eau.

Le climat n'est pas le même sur la plage ou à ses environs que dans la forêt. Nous ne pouvons mieux faire pour le démontrer que de rapporter les observations météorologiques publiées par M. le docteur G. Hameau, dans ses Notes de climatologie médicale sur les stations du midi de la France, et en particulier sur la saison d'hiver à Arcachon et dans sa forêt.

TABLEAU DES OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES RECUEILLIES AU THERMOMÈTRE CENTIGRADE A ARCACHON ET A BORDEAUX PENDANT L'HIVER

A Midi et à l’ombre
 
Arcachon
HIVER
Bordeaux
HIVER
Décembre
Janvier
Février
Décembre
Janvier
Février
1854-1855
10
8
12
10 ,0
7
5
10
7,5
1855-1856
11
12
11
11,3
7
10
9
8,6
1856-1857
8
7
11
8,6
7
6
9
7,3
1857-1858
13
14
12
13
11
5
12
9,3
1858-1859
11
8
12
10,3
10
6
11
9
1859-1860
11
11
11
11
7
10
7
8
Moyenne
10,6
10
11,5
8,1
7
8
Moyenne totale
10,7
7,6
1864-1865
5
9
8
7,5
4
8
6
6

DÉTAIL DE LA TEMPÉRATURE PRISE A 8 HEURES DU MATIN ET A MIDI PENDANT LES HIVERS DE 1864-1865

 
8 HEURES DU MATIN
MIDI
ARCACHON
 
Arcachon
Bordeaux
Arcachon
Bordeaux
Minima
Maxima
Moyenne
Décembre
3,2
2,2
5,3
5
1,8
7,6
5.0
Janvier
7,4
5,4
9,7
8
5
11,5
8,3
Février
5
4,7
8,7
6,7
3
10
7
Hiver
5,2
4,1
7,9
6,3
3,2
10,9
6,7

D'autres tableaux concernant les mêmes années que ci-dessus tendent à établir que, pendant l'hiver, le thermomètre monte plus haut et descend moins bas, en moyenne, à Arcachon qu'à Bordeaux.

 
FORÊT D'ARCACHON
 
MOYENNES MENSUELLES
1864-1865
8 HEURES MATIN
MIDI
 
BARO METRE
THERMO METRE
HYGRO METRE
OZONO METRE
BARO METRE
THERMO METRE
HYGRO METRE
OZONO METRE
Décembre
758
3.2
93
18
749
5.3
91
8
Janvier
756
7.4
91
19
756
9.7
90
10
Février
764
5.0
89
17
762
8.7
80
9
Mars
760
6.5
89
16
760
10.9
83
8
Avril
762
14.4
91
12
763
20.4
74
8
Mai
767
18.6
85
13
767
21.7
80
7
Juin
763
21.8
80
8
761
26.5
71
4
Juillet
763
21.0
86
12
763
23.7
80
7
Août
761
19.1
88
13
762
22 8
78
7
Septembre
766
20.0
89
9
764
26.2
77
6
Octobre
755
14.5
92
13
756
18.5
84
10
Novembre
760
8.3
89
14
760
12.7
86
9
 
Moyennes par saison
Hiver
759
5.2
91
18
759
7.9
89
9
Printemps
760
13.1
88
16
763
17.6
78
8
Eté
763
20.6
84
11
762
24.3
76
6
Automne
760
14.2
90
12
760
19.1
82
8
Moy. annuelles.
760
13.2
88
13
760
17.2
81
8
 
Hiver 1865-1866
Décembre
766
5.6
91
13
765
12.6
88
7
Janvier
765
5.7
95
14
765
11.4
92
9
Février
761
8.0
95
16
760
10.1
93
8
Moy. Hivernale
764
6.4
93
14
766
11.3
91
8

 

 
FORÊT D'ARCACHON
 
MOYENNES MENSUELLES
1864-1865
THERMOMETRE CENTIGRADE
PLUIE mm
JOURS PLUVIEUX
JOURS SEREINS
  MINIMA MAXIMA MOYENNE      
Décembre
1.8
7.6
5.0
36.6
9
15
Janvier
5 0
11 5
8 3
157.3
15
10
Février
3.0
10.8
7.0
82.4
11
16
Mars
3.5
10.6
7.7
83.2
17
21
Avril
9.8
23 0
16.5
28.0
5
24
Mai
12 2
25 5
19.5
91.5
7
24
Juin
15 0
26.9
21.6
25.5
3
26
Juillet
14.5
25.1
19.7
42.0
5
24
Août
11.3
24.7
18.1
73.0
9
28
Septembre
10.7
28.1
19.4
0
0
30
Octobre
8.0
20.7
14.7
180.0
14
19
Novembre
5.6
14.0
9.9
29.2
8
18
 
Moyennes par saison
Hiver
3.2
10.0
6.7
256.8
35
41
Printemps
8.5
19.7
17 5
201.7
29
69
Eté
13.6
25.5
19 8
140.5
17
78
Automne
8.1
20.9
14.6
209.0
22
67
Moy. annuelles.
8.3
19.0
14.0
808.0
103
255
 
Moyennes par saison
Décembre
2.7
14.2
8.1
10.3
3
20
Janvier
3.2
12.8
8.0
56.5
9
25
Février
6.8
12.4
9.0
131.2
16
14
Moy. Hivernale
4.2
13.1
8.5
298.0
28
59

M. le docteur G. Hameau, commentant et complétant les tableaux de sa brochure dont nous avons donné le titre, ajoute : " L'intérêt principal des observations météorologiques faites à Arcachon est dans leur comparaison avec celles de Bordeaux, parce qu'elles spécialisent ainsi la valeur des circonstances locales. "

Guyot donne pour la température moyenne de Bordeaux, de 1775 à 1790: été 21° 3 centigrades, hiver 6° 2 centigrades; et Lamothe, de 1822 à 1830 : été, 22° centigrades, hiver 6° 3 centigrades. En prenant la moyenne de ces deux données, il résulte que la température de l'été est de 21° centigrades et celle de l'hiver de - 6°3 centigrades. La moyenne générale annuelle est de 13°8 centigrades.

Jouannet fait à propos de la température hivernale de Paris et de Bordeaux une remarque importante à signaler. " Si l'on compare, dit-il, les tableaux Bains de merthermométriques de ces deux villes, on voit que la différence entre les maxima est bien moins forte que celles de leurs minima. Il arrive même en certaines années qu'un hiver long et rigoureux à Paris est de courte durée et très doux à Bordeaux. L'hiver de 1776 en a offert un mémorable exemple ; ainsi le 29 janvier, le thermomètre centigrade descendait à Paris, à -14° 5, il montait à +7° 5 le même jour à Bordeaux. Le froid sévit pendant un mois à Paris, il ne dura que cinq jours à Bordeaux, et le minimum de la température n'y dépassa pas -5° 3 centigrades, Bordeaux fut comme une ligne de démarcation que l'hiver ne franchit pas. " (Statistique de la Gironde.)

M. le docteur Hameau fait observer avec raison qu'entre la série de ses tableaux I et II, il existe des différences considérables et absolues quant à la rigueur des hivers. On les constate aussi bien à Arcachon qu'à Bordeaux ; elles montrent que les hivers de 1854 à 1860 ont été très doux, tandis que celui de 1865 a été très rigoureux. On comprend aisément cette remarque en jetant un coup d'œil sur le tableau IV, où l'on voit une élévation de 1 à 2° centigrades en faveur d'Arcachon dans les moyennes mensuelles, tandis que le rapprochement des plus basses températures est à midi de 1° centigrade environ en faveur de Bordeaux, et en faveur d'Arcachon, aussi de 1° centigrade à huit heures du matin.

On a vu plus haut quelles ont été les températures des divers mois de l'hiver, très froid de 1865, à Bordeaux et à Arcachon. Il faut ajouter que, d'après les tableaux de M. Hameau, la température de six années consécutives, prise à midi, n'est descendue à 0° que six fois à Arcachon et dix-huit fois à Bordeaux, c'est-à-dire, une fois par an en moyenne à Arcachon, et trois fois à Bordeaux,

Il résulte de tous ces tableaux, et c'est encore une réflexion de M. G. Hameau, que si la différence nocturne entre la température extrême de chaque mois est de 10° à 11° centigrades à Bordeaux et à Arcachon ; la différence de la température diurne est à peine marquée, puisque la transition n'a été que de 2° centigrades entre huit heures du matin et midi, pendant l'hiver de 1864-1865. La température n'est donc pas soumise à des variations brusques, dans la forêt surtout, à aucun moment de l'année et particulièrement pendant les mois froids ; c'est ce qui a le plus contribué à fixer l'attention des médecins sur les qualités de cette station où il ne tombe de neige que tous les quatre ans en moyenne, et encore ne reste-elle sur le sol que trois ou quatre jours à peine.

Il existe ordinairement à Arcachon, en hiver, une différence de 1° à 2° centigrades, entre l'air de la forêt et celui de la plage. Les jours où le vent souffle, l'atmosphère de la forêt fait monter le thermomètre centigrade de 2° ou 5°; sa colonne s'élève de 2° ou 5°, sur la plage, au contraire, lorsque le temps est parfaitement calme, la température de l'eau du bassin étant plus élevée alors que celle de l'air ambiant.

L'hygromètre à cheveu de de Saussure marque, en moyenne, à Arcachon, à huit heures du matin, 91° d'humidité, et 89° à midi.

Le pluviomètre a indiqué à Arcachon pour l'hiver de 1864-1865, qu'il était tombé en décembre 63mm,6 d'eau, en janvier 137mm,3 dixièmes, en février 82mm,4, ce qui constitue un total de 256mm,8. La pluie y a été notée pendant trente-cinq jours de ces trois mois, le ciel a été serein pendant quarante et un jours ; le reste du temps a été nuageux, mais sans eau, II y a eu à Bordeaux pendant la même période, 50 jours pluvieux et 27 jours sereins, un ciel obscurci par les nuages s'est montré pendant les autres jours. II est fréquent, en effet, de trouver à Arcachon l'atmosphère limpide, tandis qu'elle est nuageuse et même brumeuse à Bordeaux. On voit souvent aussi une pluie abondante, mais de courte durée, tomber au bord du bassin, tandis qu'elle est beaucoup plus longue et moins intense à Bordeaux. Le pluviomètre est donc un guide infidèle pour juger la physionomie du climat d'Arcachon au point de vue qui nous occupe. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il tombe à Arcachon beaucoup d'eau et souvent, il n'en est pas moins vrai qu'il est peu de jours où les malades soient privés de se promener dans la forêt, dont le sol ne retient pas l'humidité qui n'est réellement perçue que par les temps de brouillard. Cela n'a heureusement lieu que trois ou quatre fois par an tout au plus.

Le papier de Bérigny atteint dans la forêt d'Arcachon, après quelques heures d'exposition seulement, son plus haut degré de coloration, ce qui a démontré à plusieurs reprises la quantité d'ozone considérable que son air résineux contient. Le même papier exposé dans les rues, dans les jardins ou dans les maisons du bord du bassin donnent, au contraire, une coloration nulle et à peine marquée.

Nous venons d'étudier avec soin la topographie, la météorologie et la climatologie d'Arcachon, soit sur la plage ou dans la forêt, afin de montrer que le séjour dans l'une ou l'autre de ces parties n'est pas indifférent pour les malades qui y sont en été ou en hiver.

Comment agissent l'air de la plage et les bains de mer? La température, en général, moins élevée des bords du bassin pendant les jours les plus chauds de l'été, indique, dès l'abord, que c'est là où devront se tenir exclusivement les personnes auxquelles un air tonique est recommandé. Les sujets lymphatiques ou scrofuleux sont dans ce cas, et se trouvent bien, très promptement, de passer la majeure partie des jours sur le sable uni et peu longtemps humide à marée basse de la baie d'Arcachon. Les enfants profitent lUn Baigneur de professione mieux, de ces bains prolongés dans l'air de la plage, sur laquelle ils courent les pieds et les jambes nus comme les enfants des pêcheurs. C'est à eux aussi que convient le mieux l'inclinaison à peine sensible de la grève, qui leur permet de prendre presque sans surveillance des bains de mer, où ils ne sont exposés à aucun des dangers dont les baigneurs de profession sont, ailleurs, chargés de les garantir. Nous avons dit, nous y revenons à dessein, qu'aucune vague ne se forme sur le bassin d'Arcachon, de sorte que les bains à la lame y sont impossibles. C'est un inconvénient et un avantage; un inconvénient, pour les malades qui ont besoin de l'action mécanique d'une douche en pleine eau, d'une action essentiellement tonique. C'est un avantage, au contraire, pour ceux, qui contractant aisément des rhumes ou des refroidissements sans réaction facile, peuvent se baigner sans danger dans les eaux chaudes et calmes du bassin d'Arcachon. M. le docteur G. Hameau a plusieurs fois constaté que les bains de mer prolongés pendant deux heures, par exemple, réussissent presque toujours dans les métrorrhagies, essentielles surtout, antérieurement rebelles aux traitements les plus rationnels. L'écoulement sanguin diminue quelquefois dès le premier bain et ne tarde pas à s'arrêter tout à fait.

Nous ne dirons que peu de mots des bains d'eau de mer chauffée aux établissements de la plage ; ils n'ont à Arcachon que les effets physiologiques et thérapeutiques des bains d'eau de mer artificiellement chauffés, pris en quelque lieu que ce soit. Ces bains chauds sont beaucoup moins utiles à Arcachon que sur les bords de la Manche, par exemple, où le climat ne permet pas aux malades délicats de se baigner chaque jour dans l'eau de la mer. Disons à ce propos que nous n'avons pas rencontré dans les deux établissements d'Arcachon une installation balnéaire complète, suffisante même. Il y manque, par exemple, un système de douches variées suppléant, au gré du médecin, à l'indication quelquefois formelle d'administrer des douches générales ou locales, fortes ou faibles, à jet plein ou à jet capillaire, descendant, horizontal ou ascendant, en pluie chaude ou froide, ou alternativement chaude et froide, suivant les règles d'un traitement méthodique par l'hydrothérapie marine. Enfin, nous n'avons rien de spécial à signaler de l'administration des bains prolongés, des bains avec la décoction des aiguilles des pins de la forêt d'Arcachon ; ils s'emploient là comme partout pour la cure des rhumatismes et des maladies auxquelles une médication balsamique est appropriée,

Nous avons fait remarquer la température élevée, l'absence à peu près complète des vents violents, l'air sec, la grande quantité d'ozone, les émanations résineuses de pins, presque tous entaillés, de la forêt d'Arcachon, pour mieux faire comprendre pourquoi son séjour convient aux personnes essentiellement nerveuses, qui ne peuvent trouver nulle part un sédatif plus efficace et plus durable. Cette action hyposthénisante précieuse ne doit jamais être oubliée du médecin qui dirige la cure, car si elle lui rend de grands services, elle peut nuire à tous les sujets d'une constitution molle et languissante quel que soit leur âge, mais surtout s'ils n'ont pas dépassé la seconde enfance.

Les névrosiques à éréthisme marqué et à tempérament assez riche pour ne pas craindre une dépression sensible, les asthmatiques à crises indépendantes d'un état anatomique défini, ceux dont un spasme nerveux cause uniquement la suffocation ; les phtisiques évidemment sanguins ou facilement excitables ; ceux qui souffrent d'une affection même organique du cœur, dont la gêne de la circulation est augmentée par une vive impressionnabilité, sont les hôtes qui se trouvent le mieux de l'habitation dans Une famille devant la villa hygiénique La Fourmiles villas d'hiver de la forêt d'Arcachon. Il est bien regrettable que la compagnie ou les particuliers qui les ont fait construire, n'aient pas demandé ou n'aient pas mieux écouté les avis des médecins ; ils auraient évité ainsi les erreurs qu'ils ont commises contre les règles les plus vulgaires de l'hygiène. Ainsi, ils auraient fait des murs plus épais, ils se seraient gardés de pratiquer un aussi grand nombre d'ouvertures, de les placer surtout en face les unes des autres, d'établir de cette façon des courants d'air continuels, d'autant plus redoutables qu'on n'a mis à peu près nulle part de doubles fenêtres, si nécessaires pourtant pendant les jours où les vents soufflent avec force. Ils se seraient gardés enfin d'ouvrir des tranchées dans la forêt aux points exposés aux vents dominants, d'entourer les chalets de jardins trop découverts pour abriter convenablement â certaines heures de la journée, etc.

Arcachon a un passé déjà long comme plage marine et comme bains de mer ; le luxe de son Casino et de quelques édifices consacrés exclusivement aux plaisirs de ses hôtes, le confortable de la vie, autrefois primitive et grossière de ses habitants, les ressources de toute nature qui peuvent satisfaire les gens les plus accoutumés aux jouissances de la vie, les promenades un peu monotones peut-être, et les quelques excursions dans les localités qui entourent Arcachon ou en sont peu éloignées, promettent à ce pays une fréquentation active des baigneurs à la mer. L'habitation dans la forêt date de peu de temps, au contraire, et cette station d'hiver n'est guère suivie que depuis les travaux de M. l'inspecteur G. Hameau, auxquels il faut se reporter pour faire connaître les résultats obtenus par l'air doux et balsamique de la forêt d'Arcachon. Nous terminerons donc en rapportant textuellement les conclusions dans lesquelles ce persévérant et distingué confrère résume ce que lui a enseigné une expérience de plus de dix années.

" Le climat d'Arcachon, dit M. G. Hameau, compris dans le climat girondin, est analogue à celui de Bordeaux quant aux influences générales, mais avec des particularités qui tiennent :

" 1° Au voisinage de la mer dont il n'est séparé, en ligne directe de l'O., que par une série de dunes couvertes de forêts de pins, et par le large havre du bassin qui s'ouvre au S.;

" 2° A l'obstacle que cette forêt même élève contre l'impulsion des vents d'O., de S. O.,deS., deS.E. etd'E.;

" 3° À l'étendue de la baie sur laquelle doivent passer les vents de N. et de N. E pour arriver à Arcachon, se chargeant ainsi d'une certaine humidité propre à corriger leur action desséchante, qui les tempère l'été et leur communique un peu de calorique en hiver ;

" 4° A la température de la mer plus élevée que celle de l'air pendant la saison froide, et plus basse dans la saison chaude ;

" 5° Aux abris toujours verts de la forêt de pins, abris si insuffisants pour préserver des ardeurs du soleil quand on recherche l'ombre, mais qui en augmentent l'intensité par le calme de l'air, aussi bien en hiver qu'en été ;

" 6° A l'état hygrométrique qui donnerait une humidité fâcheuse, si le sol extrêmement perméable ne rendait impossible toute stagnation liquide ;

" 7° A l'état ozonométrique très remarquable qui atteint les plus hauts degrés de l'échelle de Bérigny, dans la forêt pendant l'hiver ;

" 8° A la végétation riche et verte en toute saison ;

" 9° A la présence des émanations résineuses ;

" 10° Au peu d'élévation du sol au-dessus du niveau de la mer, et, par conséquent, à la plus grande pression barométrique possible. " (G. Hameau, De l'influence du climat d'Arcachon dans quelques maladies de la poitrine. Bordeaux  1866, p. 2.)

Le même praticien formule ainsi à la page 18 du travail dont nous venons de parler, son opinion sur les résultats physiologiques et thérapeutiques du climat d'Arcachon :

Le climat, dit-il, est sédatif du système nerveux ; il met certains phtisiques dans un milieu favorable à la cure de leur maladie, amène au moins une amélioration notable quand il y a prédominance du système nerveux ; il favorise la guérison des bronchites chroniques dans les mêmes circonstances ; il est contraire à toute maladie de poitrine chez les personnes d'un tempérament lymphatique  torpide; il convient à la plupart des asthmatiques.

A. ROTUREAU.

BIBLIOGRAPHIE

HAMEAU (M.). Quelques avis sur les bains de mer. Bordeaux, 1855

PEREIRA (Émile-Louis). Des bains de mer d'Arcachon, de l'influence des bords de ce bassin sur les tubercules pulmonaires et les maladies du cœur et de l'habitation de cette plage pendant l'hiver par les personnes atteintes de maladies chroniques. Bordeaux et Paris, 1853.

HAMEAU (G.). Arcachon. In Union médicale de la Gironde, p. 297 et 505.

DU MEME. Climat d'Arcachon In Union médicale de la Gironde, 1856, p. 555.

DU MEME. Bains de mer d'Arcachon. In Journal d'Arcachon, passim 1856-1865.

Almanach général d'Arcachon, 1865, p. 53 et suiv., et 1866, p. 46 et suiv.

HAMEAU (G.). Notes de climatologie médicale sur les stations du midi de la France, et en particulier sur la saison d'hiver à Arcachon. Bordeaux, 1866.

DU MEME. De l'influence du climat d'Arcachon dans quelques maladies de poitrine, Bordeaux, 1866.

A. R.

Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. [Première série] ([187?])

[Oeuvre du médecin, journaliste et lexicographe Amédée Dechambre (1812-1886), le "Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales" ne compte pas moins de cent volumes. Sa publication s'est étalée sur 25 ans entre 1864 et 1889.]

15/01/14

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